L’homme occidental est un animal, certes plus policé que le tigre moyen, mais tout aussi territorial. Ainsi donc, lorsque Pastor, golden-boy aussi féroce dans sa vie de famille que dans son boulot de commercial, se réveille un matin avec un rein en moins, son sang ne fait qu’un tour. C’est plus qu’une agression : on a nié son identité, piétiné sa sacro-sainte intégrité… on lui a pris un truc qui était, sans le moindre doute, expressément à lui ! Prenant sous le bras son exemplaire personnel de la loi du Talion, Pastor va donc se mettre en chasse pour accomplir sa revanche…
Je possède, je suis possédé
Sauf que le duo Arnold de Parscau (à la réalisation) et Benoît Delépine (au scénario) ne regarde pas du côté de Joel Schumacher et de son vindicatif Chute libre : le regard se porte avant tout sur la spirale affolante qui aspire Pastor (Denis Ménochet), un vortex absurde dans lequel le protagoniste s’enfonce de façon obsessionnelle. Telle une nouvelle incarnation du Pat Bateman d’American Psycho, Pastor vit son agression, dont nul ne connaît la raison, comme l’atteinte suprême à son intégrité : ce n’est pas tant l’étrangeté de la chose, ni la violence qu’elle implique, que le sous-entendu manifeste qui le met en rage. Ce qu’il possède, nul ne doit lui enlever.
Peu importe, dans ce cas, de découvrir le fin mot de l’histoire. Car, enfin, pour quelle raison enlève-t-on un rein de cette façon ? Sur un canevas similaire, le Coréen Park Chan-wook réalisait l’effrayant (et très complaisant) Sympathy for Mister Vengeance en 2002. Arnold de Parscau, plus délicat et moins brutal, choisit d’offrir au spectateur un dialogue direct, une révélation progressive qui se déroule en parallèle de l’odyssée vengeresse de Pastor : le personnage n’en aura finalement que peu conscience avant le moment suprême. Un choix judicieux, qui renforce encore l’impression d’absurde et de dérisoire qui entoure la croisade du personnage principal.
La nouvelle chair
Cette croisade, c’est celle d’un personnage de l’univers de Cronenberg, première époque. Le réalisateur de Videodrome et de Frissons ne renierait ainsi pas la descente aux enfers de Pastor. Certes, le point de départ, cette mutilation mystérieuse, rappelle les obsessions charnelles du Canadien – mais c’est la plongée dans la folie qui constitue le lien le plus fort. Arnold de Parscau construit cependant son univers à lui, bien éloigné des images cliniques de Cronenberg, peuplé de cadrages audacieux, de couleurs outrées et de compositions d’image pour le moins intenses. De quoi témoigner de l’ambition du jeune réalisateur, dont c’est le premier film, et qui a été contacté par Benoît Delépine après son clip sur « Good Day Today » de David Lynch.
Peuplé d’images fortes, d’une véritable identité visuelle, bâti sur un canevas à la progression inattendue, Ablations peut pêcher par excès de symbolisme, par des dialogues parfois trop insistants. Un excès d’enthousiasme tel qu’on peut en attendre de la part de Benoît Delépine, scénariste des généreux et idéalistes Mammuth, Louise-Michel et Le Grand Soir, et auquel le jeune Arnold de Parscau ne pouvait probablement échapper. On ne saurait cependant en vouloir au film d’être à la fois un très honnête film de genre qui refuse la facilité, et de donner sa chance à un jeune réalisateur prometteur.