Sorti en 1983, Videodrome pourrait être considéré comme l’ancêtre d’Existenz (1999), tant les deux films partagent une réflexion commune sur les notions de réalité et de fantasmes à travers un medium visuel (la télévision pour l’un, les jeux vidéo pour l’autre) et une iconographie où homme et machine fusionnent. Toutefois, les liens de parenté entre les deux films s’arrêtent là, car à la différence d’Existenz, Videodrome construit, à travers la charge politique virulente qui l’irrigue, un discours contestataire et puissamment subversif. Un grand Cronenberg dont la ressortie sur les écrans souligne, près de trente ans après sa réalisation, la dimension visionnaire et annonciatrice de la décadence télévisuelle contemporaine.
Max Renn (James Woods), patron de Civic TV, chaine spécialisée dans les programmes violents et pornographiques est à l’affût de tous les contenus susceptibles de doper ses audiences. Lorsqu’il découvre par hasard Videodrome, une émission pirate où torture et meurtre sont mis en scène, il est convaincu d’avoir mis la main sur une pépite télévisuelle. Mais le spectacle du sadomasochisme présenté tourne rapidement à l’obsession pour Max, alimentant les fantasmes de plus en plus déviants avec sa petite amie Nicki (Deborah Harry, la chanteuse de Blondie dont le physique évoque avant l’heure les traits de Scarlett Johansson). Progressivement victime d’hallucinations, le héros parvient difficilement à faire la part entre la réalité et les fruits de son imagination. Mais des révélations concernant Videodrome vont bientôt lever le voile sur les métamorphoses, tant psychiques que physiques, qu’il subit.
Les cauchemars de la chair
Avant de s’intéresser aux tourments de l’âme (la folie dans Spider, la nymphomanie dans A Dangerous Method ou plus récemment les stigmates de la célébrité dans Maps to the Stars), David Cronenberg consacrait son énergie cinématographique à interroger la chair. L’hybridation de celle-ci avec un parasite (Frissons, La Mouche) ou une machine, comme c’est le cas de Videodrome, tels étaient les fondements de son travail. Avec ce huitième film, le réalisateur canadien creuse donc le sillon charnel, imaginant des symbioses inoubliables entre homme/téléviseur ou homme/arme. Soutenus par la créativité sans borne de Rick Baker, en charge des effets spéciaux du Loup-Garou de Londres ou de Gremlins entre autres, les cauchemars cronenbergiens prennent vie, alternant entre fantastique et horreur.
La déréalisation en marche
Mais à la différence de ses précédents films, toujours subversifs mais à la critique politique faible, Videodrome s’inscrit pleinement dans une diatribe contre la télévision. En questionnant le rapport entretenu par le téléspectateur avec la violence extrême et la pornographie, Cronenberg met à jour la déréalisation intrinsèque que le petit écran produit sur le public. Les hallucinations de Max font ainsi écho aux déformations du réel induites par une soumission trop forte à la télévision. Du vieux discours qui fait porter la responsabilité de la violence sociale (ou du moins une forme d’anesthésie à la brutalité du réel) à la représentation de celle-ci par les médias télévisuels, Cronenberg tire un film allégorique où l’appétit grandissant pour des mises en scène insoutenables conduit à une profonde métamorphose humaine, au sens propre. La multiplication des torture-porns (Hostel et consorts) aurait tendance à lui donner raison, tant le curseur d’acceptation de la violence fictive et le degré de passivité face à la sauvagerie du réel ont augmenté. Si Videodrome peut sembler parfois daté dans ses effets spéciaux, bien loin du tout numérique d’aujourd’hui, il n’en demeure pas moins une proposition esthétique diablement horrifique (la fusion de la main de Max et de son revolver ou la naissance d’une fente abdominale prête à accueillir des cassettes vidéo vivantes) et une réflexion avant-gardiste sur les effets d’une télévision cynique sans tabou ni limite.