Dans la famille fantaisiste, nous demandons le quatrième long-métrage de Noémie Lvovsky : la réalisatrice des remarqués La vie ne me fait pas peur et Les Sentiments se plonge dans un univers particulièrement aimé du cinéma français, la famille, avec ce qu’elle comporte de secrets, de manques, de ratés et d’espoir. Ce cinéma-là préfère définitivement la légèreté au drame psychologique. Plein de mouvements déconstruits, de délires, de comique fin, Faut que ça danse ! est aussi plein de charme. Une belle joie pour les débuts de fin d’année.
De facture en apparence classique, Faut que ça danse ! est un mélange savant de gravité et d’ironie légère qui défie les lois de la narration linéaire : après une « fausse » présentation de la famille au travers de la voix off de Sarah (la toujours craquante Valéria Bruni-Tedeschi dont on attend le prochain film), Noémie Lvovsky passe d’un personnage à l’autre avec beaucoup de mesure, de rythme et un amour des comédiens et des personnages qui transparaît réellement. Sans chercher le numéro d’acteurs en amplifiant de trop les effets de dialogues et de situation, elle opère la plongée totale dans un monde familial assez étonnant, et passe sans complexe d’une génération à l’autre, d’un sexe à l’autre, d’une envie à l’autre. Le personnage central, fédérateur, est donc celui de Sarah, trentenaire casée mais pas mariée, prétendument stérile mais bientôt enceinte, fille d’un fanatique de Fred Astaire et d’une jeune sexagénaire un peu givrée. Comme la légèreté n’empêche pas l’ancrage (bien dosé, ce qui était difficile) dans l’Histoire, Sarah nous prévient : « Mon père m’a seulement dit que toute sa famille est morte à Auschwitz, et débrouille-toi avec ça. » Et comment, alors que l’on commence à vieillir et que l’on va donner la vie peut-on se contenter de cela ?
Justement, Sarah ne s’en contente pas. Cette joyeuse « tyrannie de la famille » a englobé sa vie entière, et, sans lui peser, nécessite quelques explications pour une fille unique flanquée d’un père amateur de femmes jeunes et de claquettes. Le premier sujet du film est l’âge : le père Salomon (le toujours fin et drôlissime Jean-Pierre Marielle) cherche une assurance voiture qu’on lui refuse parce qu’il est trop vieux. Être vieux dans la société reviendrait pour l’assureur, lors d’une scène de mauvaise foi assez mémorable, à être potentiellement handicapé et certainement moins enclin au réflexe : pour Noémie Lvovsky, la vieillesse est aussi un moment comme les autres, où la douce folie est nécessaire à la survie, où l’on ment, où l’on drague, où l’on résiste aux événements passés et présents… et où, peut-être davantage qu’au temps des lilas, on se tait. Salomon refuse de parler du passé familial, et la mère de Sarah, Geneviève, est cloîtrée dans un silence d’incompréhension relative dont on ne saura jamais s’il est la conséquence d’une réelle maladie mentale ou simplement d’une dernière appréhension de l’existence. Au milieu des deux anciens conjoints (car, comme tout couple moderne qui se respecte, ils sont séparés), Sarah attend un enfant, et se demande ce qu’elle va léguer.
Noémie Lvovsky aime visiblement beaucoup la famille : elle retrouve évidemment Valéria Bruni-Tedeschi, déjà dirigée sur un court-métrage et le premier long, Oublie-moi. Tout d’abord, elle habille, coiffe, dirige les acteurs avec grand soin et précision, non seulement parce que l’acteur est un corps (l’apparence physique est d’ailleurs une des composantes de l’âge), mais aussi parce qu’il doit comprendre ce qu’il fait. Les personnages ne sont pas pour autant des êtres formés de traits d’esprit et de caractères plaqués, mais des corps dansant dans un espace extrêmement diversifié. Qu’il s’agisse des scènes de rue ou d’intérieur, Noémie Lvovsky insiste sur l’instabilité, un rythme effréné, l’idée que jeune ou vieux, l’immobilisme n’est pas dans le sang de son cinéma. Bien que certains oublient quelques dates (ou aient voulu les oublier), ils restent sujets de ces mouvements, libres et légers, parfois sensuels aussi : une très belle scène montre ainsi Salomon lavant les cheveux de Violette (Sabine Azéma), comme un père inversé prendrait soin de son enfant. Les frontières de l’âge et de la sagesse ne sont pas clairement définies, et c’est probablement cette idée qui fait de Faut que ça danse ! une comédie qui s’autorise des questionnements plus profonds sans jamais envier le genre dramatique. Ni sage ni hystérique, voici un film qui choisit un humour personnel et intelligent, qui fait beaucoup penser à la saga d’Augustin d’Anne Fontaine, comportant par exemple la même fausse naïveté que Nouvelle chance.
Le premier titre du film, peut-être plus beau, était L’Ami de Fred Astaire : il y a effectivement dans le dernier Lvovsky quelque chose de la comédie américaine de l’Age d’or entre autres. Elle parsème à cet effet Faut que ça danse ! de références à Lubitsch et Wilder dans le rythme, à Annie Hall lors d’un baiser, et Fred Astaire donc… au travers d’une galerie de personnages que la réalisatrice ne psychologise pas à outrance. Car il ne s’agit pas de faire des portraits ici, ou d’étudier un microcosme. Mais de voir, pour notre plaisir, comment la fantaisie fantasmagorique et la douce folie peuvent atteindre toutes les couches de la vie et la rendre chantante.