« Il suffit d’un peu d’imagination pour que nos gestes les plus ordinaires se chargent soudain d’une signification inquiétante. » Placée au début d’Adoration, cette citation de Boileau-Narcejac donne d’emblée le ton du film, qui s’apparente à une rêverie diffuse sur l’amour adolescent : Paul, dont la mère travaille dans une clinique psychiatrique, s’enfuit avec Gloria, internée dans le même établissement. Abonné aux thrillers plutôt trash (Calvaire, Alleluia), Fabrice du Welz fait ici preuve d’une belle retenue. Le fantastique est ainsi évoqué avec simplicité à travers la lampe torche de Paul, dont les lumières vives rappellent l’esthétique flamboyante des gialli. De la même manière, la brume et la pellicule confèrent au film une dimension spectrale assez discrète. Les séquences de rêve adviennent également sans crier gare, comme celle où les protagonistes s’enlacent dans une barque, lorsque le visage de Gloria se change soudain en un masque effrayant. C’est avant tout l’adolescente qui, à travers sa folie, donne une coloration angoissante au monde.
L’amour à mort
Une relation fusionnelle se tisse entre les protagonistes, qui partagent aussi un goût pour le secret et l’interdit. Si leur rencontre est mise en scène comme un moment suspendu, à travers le silence et un découpage en très gros plans, elle fait pourtant apparaître la violence de Gloria, qui percute Paul en tentant d’échapper aux employés de la clinique. Les deux cœurs que le garçon lui dessine, en échange d’un seul, témoignent également d’un déséquilibre dans leur relation. La couleur de leurs vêtements traduit de fait, assez schématiquement, une différence de taille : Paul, en bleu clair, est un garçon innocent tandis que Gloria, en rouge, se révèle plus dangereuse. Paranoïaque, elle anticipe le mal qu’on pourrait lui faire en attaquant la première. Chaque rencontre que font les personnages au cours de leur échappée se solde ainsi par un meurtre : de l’employée de la clinique jusqu’à Hinkel (Benoît Poelvoorde), un homme bouleversé par la mort de sa femme et à qui Paul semble s’identifier.
Mauvais présages
Le film se referme sur une image glaçante du couple observant une nuée d’oiseaux avec une expression radicalement différente : tandis que Gloria sourit, Paul affiche un air angoissé, semblant percevoir dans cet envol un mauvais présage. Le film est marqué dès son début par la fatalité, lorsque Paul montre avec enthousiasme un oiseau à l’adolescente qui lui annonce, impitoyable, sa mort prochaine. Comparée de manière parfois insistante aux volatiles dont Paul aime prendre soin, celle-ci apparaît comme un oiseau de mauvais augure. Si Adoration prend le parti de l’épure, il n’échappe cependant pas à une forme de lourdeur : la métaphore de l’oiseau de malheur se poursuit ainsi avec une poule, que Gloria pense envoyée par son oncle dans le but de lui nuire. Répétant inlassablement le même schéma (la jeune fille rencontre un être, voit en lui une menace et le détruit), le film n’aborde hélas que trop superficiellement la folie de son personnage.