L’affiche, d’un rouge infernal, suggère une errance apocalyptique flamboyante. Il n’en est rien. Voilà un film nauséabond qui confond exploration de la noirceur humaine, voyage au bout de l’enfer ou retour du primitif refoulé avec la représentation provocatrice de fantasmes malsains. Se complaisant dans une image DV crasseuse, Calvaire cultive avec cruauté une atmosphère sinistre dont l’âpreté angoissante vire à l’immonde lors de « morceaux de bravoure » particulièrement abjects.
D’emblée déplaisant, le film commence par railler froidement la médiocrité d’un « artiste chanteur » itinérant (Laurent Lucas, dont on se demande bien ce qu’il est venu faire dans cette atroce galère) et l’aveuglement pathétique des résidentes d’un hospice qui trouvent en lui « la jeunesse, les souvenirs, le bonheur ». Non sans lucidité, mais avec mesquinerie, Du Welz met à nu le rapport malsain liant les chanteurs ringards à leurs admiratrices; les premiers font semblant d’aimer et de séduire les secondes, mais se retrouvent bien embarrassés lorsque, cédant à leur hypocrisie, une groupie vient leur faire comprendre dans leur loge qu’elle aimerait bien passer à l’acte… Le malaise est insoutenable: Du Welz cherche avant tout l’effet, et fait preuve, derrière une tendresse affectée confinant à la pitié, d’un désintérêt total et d’une détestable cruauté envers ses personnages. Suite à cette tentative manquée de se connecter à une certaine réalité, le film s’enfonce dans de stupides ténèbres traversées par de pénibles pics d’ultra-violence.
Dans Calvaire règnent l’arbitraire et la complaisance. Le film se veut une fable, mais la mise en scène ne fait rien pour en attester. Elle développe un naturalisme pseudo-fantastique sordide et écœurant, se livrant de temps à autre à des délires plus « abstraits », tendance Philippe Grandrieux mal digéré ou Gaspar Noé sans roue de secours. On retrouve d’ailleurs ici deux des acteurs de ce dernier (Philippe Nahon et Jo Prestia). Personnage ambigu, dérangeant, provocateur assez irresponsable, l’auteur de Seul contre tous, d’Irréversible et, plus récemment, du ridicule clip porno de Placebo (Protège-moi), est sauvé par son réel talent. Un sens du plan, une véritable puissance de questionnement et des éclats de beauté ou de tendresse (voir la fin déchirante d’Irréversible), comme chez Céline – dont il se réclame –, sauvent son œuvre du cynisme absolu. Reste qu’il suscite une fascination pernicieuse, et exerce ici une influence stérile.
Du Welz se réclame par ailleurs des Chiens de paille, de Délivrance, de Buñuel… On croit rêver. Dans Les Chiens de paille, Peckinpah développait une véritable réflexion, sèche et complexe, sur la propriété, l’étranger et la violence. Lesté d’une dimension mythique dont est totalement dénué Calvaire, Délivrance (Boorman) était structuré par la symbolique de la rivière et de l’enfoncement dans la forêt, de la civilisation à la sauvagerie. Quant à Buñuel, il questionnait les fantasmes sur le mode surréaliste, et sa cruauté rieuse, son joyeux anarchisme, sa subversion par l’absurde ne cédaient jamais au nihilisme. Jeune chien fou cherchant à tout prix les sensations fortes, Du Welz n’a aucune vision digne de l’homme à proposer – sans laquelle l’art en général et le cinéma en particulier n’ont que de tristes raisons d’être. Les acteurs ont beau y mettre toute leur conviction (Jackie Berroyer, en particulier, est saisissant, voire touchant), la logique de leurs personnages (du traditionnel fou du village, particulièrement autiste, au patriarche bourru, fou et dangereux) les dépasse, et ne répond qu’au bon plaisir sadique du cinéaste. L’opacité psychologique, ici, bien loin de renvoyer avec force à une certaine absurdité métaphysique (Gerry…), dit bien la vacuité de sa pensée.