Un étranger vient à Los Angeles prendre des nouvelles de sa sœur ; apprenant que celle-ci a été dévoyée, souillée et enfin assassinée, il remonte la piste des responsables dans la pègre locale pour leur régler leur compte, au pistolet, à la bombe, à la chaîne de vélo… Malgré le soin apporté au scénario sur les origines sociales du héros et une révélation finale parfaitement anecdotique sur son identité, Message from the King, qui reprend – comme d’autres avant lui – les grandes lignes du classique noir Get Carter de Mike Hodges, enfonce bel et bien les portes grandes ouvertes du « film de vengeance » en y mettant le paquet, avec égrainage mécanique des voyous à démolir et forçage des traits incarnant la dépravation – où un producteur hollywoodien homosexuel a une forte probabilité d’être aussi pédophile… Soit une nouvelle occasion de vérifier à quel point le genre reste des plus sulfureux, en tout cas auprès de la critique, provoquant chez les uns un rejet réflexe de son sous-texte fascisant, chez les autres une certaine complaisance pour un genre populaire (autant qu’avant ?) dont ils considèrent les spécimens actuels comme des produits perpétuant une tradition pas moins respectable qu’une autre.
Vengeance sans cause
En vérité, le problème de Message from the King se situe du côté de la seconde de ces perceptions. Car ce film n’existe que parce qu’un genre déjà ancien, avec des représentants objets de culte, préexiste et qu’une logique purement marchande incite à lui faire une nouvelle offrande « à l’ancienne » – en vertu d’une « tradition » où le terme seul flatte les traditionalistes, comme les mots « genre » et « hommage » flattent les cinéphiles en quête d’une certaine forme de goût. C’est pourquoi le potentiel offensant du « film de vengeance » se trouve ici bien accessoire, privé de sa faculté d’impact par l’opportunisme avec lequel il est brandi : au mieux inoffensif, au pire ridicule.
Il suffit de comparer Message from the King à d’autres produits du même tonneau pour constater à quel point ce petit dernier n’est ni novateur, ni digne de ses aînés, et à peine aussi louche qu’eux, juste à la ramasse. Tentons de généraliser : le spectacle de la vengeance organisée au cinéma offre deux perspectives pour le regard. Il y a d’abord une considération sur le vengeur/justicier, que l’on regarde avec inquiétude (comme chez Fritz Lang, pour qui le processus de vengeance déshumanise celui qui s’y consacre), compassion ou sympathie (comme dans beaucoup d’autres films où, parfois sous le couvert du même regard critique, la promesse se limite finalement à celle de la catharsis aux nuances superficielles). Et puis, de tels films s’inscrivent souvent dans le contexte social où ils sont produits – ainsi la vague des vigilante movies popularisée par Un justicier dans la ville (Michael Winner, 1974) répondait-elle à un regain de la peur sécuritaire aux États-Unis dans les années 1970-80. Même dans Get Carter (1971), la quête implacable du héros était un prétexte pour donner une image plus réaliste de la criminalité dans un cinéma de genre britannique en quête de modernité.
Vengeance aveugle
Message from the King, lui, fait beaucoup d’efforts dans le spectacle de la violence, du vice et des personnages tourmentés pour s’apparenter aux produits-phares du genre, mais n’est jamais capable de faire oublier qu’il arrive après eux, voire à cause d’eux, sans avoir autre chose à défendre que le désir d’appartenir à la même catégorie, tant toutes ses composantes relèvent exclusivement et désespérément du cliché. Ses personnages sympathiques ou antipathiques sont trop empesés par les tics de jeu des acteurs pour convaincre (on a quand même envie de sauver Luke Evans, qui maîtrise sa composition de tortionnaire intouchable aux manières doucereuses, personnage hélas gâché par le scénario). Les zones sinistrées de L.A. filmées comme envers du décor publicitaire restent un détail anecdotique, au fond aussi hollywoodien que son endroit (on a une étrange pensée pour Inland Empire de David Lynch, où la vision de sans-abris couchés à même Sunset Boulevard était bien plus violente). Et l’énergie déployée par le réalisateur Fabrice du Welz pour enluminer de lumière chaude, d’effets de montage décoratifs et de mimiques de sauvagerie la précarité, la violence et les corps torturés ne sont là que pour faire reluire un produit singulièrement dépourvu d’âme. À l’arrivée, celui-ci s’inscrit sans problème dans la filmographie de l’ex-faux espoir belge du cinéma de genre « hommagiste », maniériste et m’as-tu-vu (Calvaire, Vinyan…). Mais sur un plan moins individuel, l’échec d’une telle entreprise autorise à mettre en garde contre cet attrait pour tel ou tel genre juste parce qu’il en est un, parce qu’il aurait livré quelques « films-culte » et qu’il faudrait pour cela vouer une déférence aveugle à ses conventions.