Présenté dans la section de l’ACID à la dernière édition du Festival de Cannes, Avant la fin de l’été est le premier long-métrage de cinéma de Maryam Goormaghtigh. La jeune réalisatrice suisse livre un buddy movie mélancolique, qui ne cesse de surprendre. Un peu d’été, un peu d’amitié, beaucoup d’incertitude : voilà le programme de ce vrai-faux road movie, en forme de périple déceptif à travers la France.
Les trois amis
Arash, Ashkan et Hossein sont trois étudiants iraniens qui vivent à Paris depuis quelques années. Alors que ses deux amis se sont plutôt accoutumés à leur nouvelle vie, Arash souffre d’un sérieux mal du pays et projette de retourner en Iran. C’est la fin de l’été, Arash semble avoir pris sa décision. Pourtant, Ashkan et Hossein décident de l’embarquer dans un road trip vers le sud de la France, espérant pouvoir le convaincre de rester.
Maryam Goormaghtigh a fait la connaissance du trio d’amis à Paris et a très vite eu envie de les filmer, au départ sans le dessein de monter un film de cinéma à partir des rushes qu’elle aurait accumulés. Très proche de ses acteurs (amateurs, ils n’avaient aucune expérience préalable de tournage), la réalisatrice, avant de dérouler un récit, est attentive à filmer une amitié masculine en se jouant des clichés du buddy movie : point de virilité exacerbée dans la relation qui existe entre Arash, Ashkan et Hossein, mais plutôt une bienveillance pudique, où les particularités de chacun, loin d’être perçues comme une menace pour l’unité du groupe, apportent des nuances subtiles à la peinture de ce trio masculin.
Le naturalisme discret pour lequel opte Maryam Goormaghtigh s’avère en cela payant : elle prend le temps de saisir des gestes simples, avec un regard presque documentaire. Car tout en laissant s’installer la fiction, elle reste à l’affût des accidents du réel. À ce titre, la première scène de baignade entre les trois amis est d’une grande beauté : la cinéaste s’attarde sur des détails apparemment anodins mais qui, en faisant parler le corps des acteurs, lui permettent de caractériser ses personnages avec une profonde justesse : le ronflement sonore d’Arash, le fou-rire — plus tendre que moqueur — de ses amis qui l’accompagne ou encore la méticulosité teintée de malice avec laquelle ils s’appliquent mutuellement de la crème solaire, sont autant d’instants de complicité dont la retenue et la douceur sont parfaitement rendues par la langueur maîtrisée du montage et l’épure d’une photographie très « ligne claire » — qui à la lisibilité des contours, allie un travail accompli sur une palette de couleurs restreinte.
De no man’s land en no man’s land
Très vite, Maryam Goormaghtigh délaisse le tableau de la France rurale qu’elle semblait avoir commencé — avec notamment une belle scène de fanfare de village –, pour s’aventurer dans un territoire a priori plus périlleux en termes de mise en scène : une forme d’entre-deux entre la veille et le sommeil, entre la nostalgie et la rêverie. Mais, parce qu’elle garde toujours un cap bien précis — la peinture par petites touches des changements successifs par lesquels passe le héros, Arash, au cours du voyage –, la réalisatrice parvient à amorcer en douceur ce basculement vers une noirceur plus affirmée. En voyant ces plans de route interchangeables, filmés en caméra subjective, on pense ainsi beaucoup au dernier film d’Alain Guiraudie, Rester vertical : les réflexions et les échanges des personnages en voix off figurent le doute et le désarroi mêmes.
Surtout, le film impressionne par sa capacité à rendre inassignables des paysages qu’on pensait avoir vus des centaines de fois : ces bords de route monotones, ces images d’Épinal d’une France en déshérence perdent progressivement leur ancrage territorial, comme si au déracinement des personnages s’ajoutait un déracinement très littéral de la végétation et des éléments du décor. C’est qu’Arash est comme égaré au beau milieu d’un no man’s land aussi bien géographique que psychologique, recomposé à partir d’idées très simples par Maryam Goormaghtigh, et qui vibrent d’une puissance d’incarnation remarquable. La collision opérée entre les prises de vue actuelles, sur les bords de route français d’une part et les images très granuleuses de bords de route iraniens aux teintes sépia, d’autre part, crée notamment une équivoque vertigineuse : les paysages — aussi bien actuels que fantasmés — perdent leurs contours familiers pour se confondre dans une léthargie extatique. Par leur rugosité presque inquiétante, ces plans du désert évoquent les très archaïques images de rêve qui concluaient le Kaspar Hauser de Werner Herzog : d’une façon similaire, les visions d’Iran que nous offre Maryam Goormaghtigh semblent l’écho d’un paradis perdu, que le film ne pourrait plus saisir autrement qu’à l’état de chimère.