Ancien journaliste dans les années 1940 et réputé pour son engagement à gauche, le réalisateur Richard Brooks ne pouvait pas passer à côté d’un sujet sur la liberté de la presse et l’intégrité du journaliste. Avec Bas les masques, la démonstration est irréprochable, bien que l’on puisse regretter une certaine naïveté dans un procédé où la forme se contente parfois d’illustrer le discours.
Né en 1912, Richard Brooks a d’abord commencé sa carrière professionnelle en tant que journaliste. Son métier l’amène alors à collaborer en tant que scénariste à quelques films majeurs des années 1940 comme Les Tueurs, Key Largo ou encore Les Démons de la liberté. Ces films noirs, emprunts d’un certain goût pour la représentation des défavorisés et des opprimés, allaient logiquement l’amener à traiter de sujets à haute teneur sociale dès ses premières réalisations. C’est donc sans grande surprise que Cas de conscience (où il dépeint le difficile choix d’un médecin de sauver ou non un grand criminel) ouvre la marche d’une série de films engagés, parfois inégaux, mais tous animés de cette bouleversante conviction que le cinéma peut aider à changer les choses. Que ce soit dans le drame psychologique (La Chatte sur un toit brûlant, Doux oiseau de jeunesse), le film social (Graine de violence, À la recherche de M. Goodbar), le film de guerre (Sergent la terreur, Lord Jim), le western (La Dernière Chasse, Les Professionnels) ou encore en adaptant Truman Capote (De sang-froid), Richard Brooks s’est toujours distingué par sa vision particulièrement progressiste de la société américaine.
C’est donc en toute logique qu’en 1952, alors que les États-Unis plongent dans le maccarthysme et remettent en cause de nombreuses libertés fondamentales, le réalisateur s’attaque à un sujet aussi vaste que la liberté d’expression. Pour cela, il pose son intrigue dans le milieu du grand journalisme américain où se confrontent continuellement (comme dans d’autres pays d’ailleurs) éthique et populisme. Personnage principal de Bas les masques, Ed Hutcheson (Humphrey Bogart) est un rédacteur en chef très consciencieux qui doit faire face à la revente du journal pour lequel il travaille depuis longtemps pour de vulgaires motifs financiers. Cette revente compromet l’intégrité et l’indépendance journalistique de toute l’équipe dans la mesure où un groupe financier très important deviendrait le propriétaire du média. Quand Ed décide alors de mener l’enquête contre l’un des caïds de la pègre les plus puissants de la ville, il pose le journal au centre même d’un conflit d’intérêts qui met à jour toutes les contradictions d’un système politique prétendument basé sur la totale liberté d’expression.
Comme toujours chez Richard Brooks, le désir de faire adhérer le spectateur à un discours progressiste prend souvent le pas sur la forme. Réputé pour son acuité à traiter de sujets politiques et sociaux durant les années 1950 et 1960, le réalisateur peine parfois à dépasser l’exercice de démonstration sclérosé et un peu naïf, donnant presque systématiquement à ses films un goût de semi-réussite. La démonstration la plus flagrante est certainement ses adaptations ampoulées de La Chatte sur un toit brûlant (1958) et de Doux oiseau de jeunesse (1962) quand, au même moment, des réalisateurs comme Elia Kazan ou Joseph L. Mankiewicz parvenaient à transcender l’œuvre de Tennessee Williams pour livrer des films particulièrement forts sur le plan formel. Mais contrairement à de nombreux réalisateurs dont l’inspiration s’essouffle en fin de carrière, Richard Brooks semble libérer ses films d’une intention didactique trop lourde à partir de 1967, lorsque l’évolution des mœurs ne le pose plus comme un précurseur du progressisme mais plutôt comme un accompagnateur. C’est probablement pour cette raison que son style atteint une certaine forme d’apothéose avec De sang-froid (1967), My Happy Ending (1969) et À la recherche de M. Goodbar (1977).
Bas les masques peut donc souffrir de cette volonté un brin trop schématique de sensibiliser l’opinion aux dérives orchestrées par le gouvernement sur les libertés fondamentales. Néanmoins, il est tout aussi essentiel de remettre le film dans un contexte politique trouble (les premières années de la guerre froide) pour saisir tous les enjeux auxquels le réalisateur s’est courageusement confronté. L’efficacité de la mise en scène et le jeu au couteau d’un Humphrey Bogart politiquement engagé depuis sa rencontre avec Lauren Bacall ne font qu’ajouter à l’intérêt que l’on peut nourrir pour ce film, certes mineur, mais définitivement salutaire.