Pour la seconde fois, le réalisateur Richard Brooks adapte une pièce de Tennessee Williams où le vieillissement – et le lot de frustrations qu’il charrie – se confronte à l’insolence beauté de ceux qui ont tout pour eux : univers moite, rêves de pacotille et frustration sexuelle au menu de cet amer jeu de massacre où Paul Newman – en pleine méthode Actor’s Studio – fait face à une Geraldine Page toute en fragilité.
À partir des années 1950, Tennessee Williams, fort de ses succès sur les planches et des nombreux prix remportés, devient indispensable à l’industrie hollywoodienne, toujours en quête de renouvellement. La plupart de ses textes sont adaptés par les metteurs en scène les plus réputés (Richard Brooks, Elia Kazan, Joseph L. Mankiewicz) et permettent à leurs interprètes de glaner les récompenses les plus prestigieuses. Si la dimension psychanalytique des drames selon Williams se prête plutôt bien à cette nouvelle tendance hollywoodienne (amorcée par Alfred Hitchcock et Fritz Lang au début des années 1940), l’importance que le dramaturge confère au corps masculin est en totale rupture avec les codes esthétiques d’alors. Ceux que l’on considérait comme des sex-symbols dans les années 1930 et 1940 (Clark Gable, Gary Cooper, Humphrey Bogart ou encore Errol Flynn) représentaient avant tout l’archétype de l’homme charismatique, dominant, viril et protecteur, héroïque en (presque) toutes circonstances, mais auxquels on n’accordait qu’une sensualité limitée, le corps n’étant jamais présenté comme objet de désir, d’érotisation.
La donne change littéralement lorsque Marlon Brando crève l’écran dans Un tramway nommé Désir en 1951. Le corps se montre, la sexualisation est à son comble (inutile de revenir sur les scènes mémorables qui ont alimenté autant les fantasmes des femmes que des hommes) mais la posture a changé. La guerre est passée par là, l’héroïsme ne bénéficie plus de la même représentation. Les hommes qu’on se met alors à désirer sont des êtres blessés, torturés, contradictoires, potentiellement négatifs pour eux-mêmes et pour les autres, incapables de surmonter le regard réprobateur du père (James Dean) ou d’honorer comme il se doit leur épouse en manque d’attentions (Paul Newman dans La Chatte sur un toit brûlant). Autant dire un terrain particulièrement fertile pour un dramaturge comme Tennessee Williams, à la fois fasciné par le magnétisme des hommes, et torturé par sa propre incapacité à vivre et assouvir les désirs qui l’animent, trouvant à chaque fois son alter ego dans des personnages de femmes délaissées et totalement névrosées, esclaves de leurs pulsions (Vivien Leigh dans Un tramway nommé Désir, Anna Magnani dans L’Homme à la peau de serpent).
Pour incarner ce nouvel héros masculin, qui pouvait-on espérer de mieux que Marlon Brando (qui a participé activement à l’écriture de son rôle dans Un tramway nommé Désir) et Paul Newman qui, en tant que cinéaste, mettra plus tard en scène La Ménagerie de verre de Williams dans les années 1980 ? Après avoir incarné avec beaucoup de courage et de lucidité un homosexuel refoulé dans La Chatte sur un toit brûlant, il met une nouvelle fois son physique très avantageux au service des obsessions du dramaturge dans cette adaptation de Doux oiseau de jeunesse. Si la présence de Richard Brooks derrière la caméra n’est pas sans poser un certain nombre de limites (le cinéaste n’avait pas encore trouvé le style de ses derniers films et surchargeait souvent ses films sur le plan psychologique), l’atmosphère propre à l’univers du dramaturge est parfaitement rendue : incommunicabilité, rêves de gloire dérisoires, frustration sexuelle… Tous les ingrédients semblent réunis pour faire honneur à cette névrose, peut-être complaisante pour certains, mais irrésistiblement fascinante.