Réputé pour son progressisme et son goût pour les sujets à caractère sociaux, Richard Brooks s’intéresse aussi au western pour mettre en exergue le choc de deux civilisations (les pionniers contre les Indiens) incarné par l’affrontement de deux hommes tombés amoureux d’une jeune indienne. Si Brooks n’a pas la grandeur d’un Ford ou d’un Hawks, La Dernière Chasse reste un film troublant où le refus d’accepter la déliquescence de certains idéaux américains peut conduire à sa propre perte.
Comme Ophélie Wiel l’a bien analysé dans son dossier consacré à l’Indienne dans le western américain des années 1950, cette décennie a marqué un tournant décisif dans la représentation des Indiens dans le cinéma grand public, et plus particulièrement la représentation de l’Indienne dans un environnement globalement très masculin. Tout comme dans La Flèche brisée de Delmer Daves ou La Captive aux yeux clairs d’Howard Hawks, La Dernière Chasse part de cette même démarche pacifiste où, sans pour autant sombrer dans l’auto-flagellation la plus caricaturale, il est enfin permis d’avoir le contrechamp de ces combats pionniers, mais surtout un contrechamp féminin, à travers le destin de jeunes indiennes encore plus soumises aux lois patriarcales.
La Dernière Chasse part pourtant de la rencontre de deux hommes, Sandy McKenzie (Stewart Granger) et Charlie Gilson (Robert Taylor), qui décide de s’unir pour chasser le bison, alors menacé d’extinction. Leur association est surtout l’occasion de confronter deux personnalités diamétralement opposées. Sandy McKenzie, élevé par les Indiens, entretient un profond respect pour la nature (et finit donc par s’opposer à une chasse massive des bisons) tandis que Charlie Gilson, brutal et impulsif, ne cache pas son racisme envers le peuple indien. À travers la destinée de ces deux hommes, c’est tout un mythe de l’idéologie américaine que le réalisateur cherche à démonter. Pour cela, il fait intervenir un troisième personnage, une Indienne (forcément très belle) recueilli par les deux hommes alors en plein transit dans l’Ouest américain. La jeune femme, mère d’un enfant et totalement démunie, va progressivement devenir l’objet de brutalités de la part de Charlie Gilson qui peine à assumer son désir pour une Indienne. Entre les deux hommes, les tensions vont s’exacerber au point de s’achever sur une traque de McKenzie par son ancien associé.
En reprenant les codes propres au western américain (grands paysages de l’Ouest américain filmés en cinémascope, brutalité des rapports entre les hommes), Richard Brooks s’attaque bien évidemment au mythe fondateur des États-Unis. Avec La Dernière Chasse, au-delà du discours écologique évident sur la nécessité de respecter la terre qui nous nourrit, il dévoile les contradictions idéologiques d’un peuple qui doit concilier la question du désir (et donc de l’engendrement) et du rejet (et donc de la destruction). Cet antagonisme, provoqué par l’apparition de l’Indienne qui devient clairement une victime de la domination des Pionniers, intéresse bien évidemment Richard Brooks qui, à travers des œuvres telles que Graine de violence (1955), La Chatte sur un toit brûlant (1958), Elmer Gantry le charlatan (1961) ou encore son adaptation du best-seller de Truman Capote, De sang froid (1967), s’est toujours plu à mettre en lumière la totale hypocrisie d’un système qui vante pourtant une justice équitable et une totale liberté individuelle. Même si sa mise en scène n’atteint pas la virtuosité d’un Ford ou d’un Hawks qui ont eux-mêmes nourri leur œuvre d’une intense réflexion sur les mythes fondateurs de leur nation, La Dernière Chasse reste une curiosité dont le progressisme affiché lui vaut toutes les éloges.