Énorme succès outre-Atlantique, Bienvenue à Zombieland voudrait s’imposer comme une référence auto-proclamée du cinéma populaire, tendance « parodie sérieuse », loin des spoofs grossiers hérités de la série des Scary Movie et succédanés. Voilà une prétention des plus louables. Encore faudrait il que le film ne soit pas empêtré dans les obsessions infantilisantes du cinéma de blockbuster U.S.
Le cinéma de zombies possède ses propres coefficients de marée : il oscille perpétuellement entre l’horreur sérieuse et la parodie plus ou moins bécasse. Dans les années 1970, George Romero invente le genre, avec à sa suite une kyrielle de cinéastes plus ou moins doués, mais tous déterminés à pousser l’humanité réduite à la portion congrue dans ses derniers retranchements, face à une horde cannibale. Les années 1980 voient la décadence du genre, avec surtout la série du Retour des morts-vivants (le troisième du nom, œuvre de Brian Yuzna d’une impressionnante perversité barbare, faisant exception). Nous avons, récemment, assisté à une résurgence du genre, due autant au retour de Romero au genre qu’il a créé qu’à un petit film malin, et succès surprise : Shaun of the Dead, d’Edgar Wright, qui, comme toute bonne parodie, véhicule un amour sincère du genre.
Bienvenue à Zombieland lorgne férocement du côté de son cousin britannique : les États-Unis sont devenus les États-Unis du Zombieland, un monde ravagé par une épidémie de zombification dont on ne se posera pas très longtemps la question de l’origine. Se poser des questions, c’est mourir, et l’important pour le héros du film, c’est de survivre. Il a, pour ça, une série de commandements frappés au coin du bon sens dont le plus important serait sans doute : ne pas être un héros. Avec un excellent rythme cardiaque, acquis par une pratique régulière de la course devant des zombies affamés, il va donc décider de parcourir les États-Unis, histoire de voir s’il peut retrouver sa famille, et sur le chemin rencontrer d’improbables compagnons d’infortune.
Peu de gens sont parvenus aussi bien que George Romero à dépeindre l’apocalypse. À considérer le récent et parfaitement crétin 2012, film formaté à la seconde près pour plaire à son public, on mesure toujours plus l’audace du créateur de la « Saga des morts-vivants », lui qui ose montrer l’humain veule, lâche et prompt à la plus basse traîtrise pour survivre, lui qui ose montrer que le monstre qu’il faut abattre pour survivre arbore le visage aussi humain que le nôtre – visage qui constitue d’ailleurs le seul point vital de ces monstres. Tandis que Roland Emmerich ne semble pas vouloir considérer ses personnages autrement que a) des héros sans peur (s’ils sont américains) ou b) des quantités négligeables sans instinct de survie et juste bons à sacrifier sur l’autel du sensationnalisme (s’ils sont d’une autre nationalité), les privant ainsi de la plus élémentaire humanité. C’est important, pour nos cousins d’outre-Atlantique, de sentir que monsieur tout-le-monde peut devenir un héros, qu’il a ça en lui – même et surtout s’il revendique ne pas en être un, et qu’il peut le faire sans s’encombrer de principes outre mesure.
La comparaison avec Shaun of the Dead, inévitable, ne se fait pas en défaveur de Bienvenue à Zombieland, de prime abord. La première partie du film, qui concentre l’intégralité des idées burlesques du film (à une notable et savoureuse exception près), rivalise même sans problème avec la comédie horrifique débridée d’Edgar Wright. Bienvenue à Zombieland déroule le tapis rouge pour un prologue enthousiasmant, drôle, et inattendu. Mais une fois le prologue passé, la trame narrative peine à garder le rythme, et surtout à préserver l’intégrité de son irrévérence annoncée. Car tout le film vise à faire de notre héros, un puceau lâche et sans fierté, un homme (révélé, évidemment, par l’acte sexuel, c’est comme ça un homme) courageux et arrogant.
Pour ce faire, les zombies parsèment le film, vidés de toute humanité, autant que de la moindre capacité de menace, servant avant tout de support aux tentatives rocambolesques de battre de le record du « meurtre de zombie » le plus spectaculaire pour les héros. Bienvenue à Zombieland a, en cela, tout du jeu vidéo : l’ennemi est là dans le seul but de se faire cartonner – voire cartoonner, tant le film joue sur la surenchère graphique. Hélas, même si Bienvenue à Zombieland cite volontiers Shaun of the Dead ou le Sam Raimi des années Evil Dead / Mort sur le grill, il lui manque la méchanceté nécessaire à rendre cet exercice intéressant.
Incapable de grandir, incapable d’assumer son ironie, Bienvenue à Zombieland va donc se réfugier dans un train-train attendu, autour de deux valeurs centrales : la famille, et la fierté. L’homo americanus ne peut se réaliser que grâce à ces deux principes, et devenir une figure simpliste, pour lequel le principal danger sera la remise en question. C’est la conclusion de Bienvenue à Zombieland, c’est également celle de 2012, de Transformers 2 (deux films avec lequel il partage le côté « j’ai de beaux jouets et je suis content de les casser ») : celle, peut-être, de tout le cinéma américain mainstream actuel. Résultat : quelle que soit l’idée qui préside à la création d’un film, quelle que soit la vision du monde que puisse véhiculer cette idée, on en revient au même dénominateur commun, simpliste – le besoin de se rassurer en créant des icônes – miroir infaillibles et dont on ne doutera pas. Une constante immaturité qui, en plus de gâcher un important potentiel artistique, est à la fois agaçante… et inquiétante.