Si la saga vidéoludique multi-primée Uncharted n’a cessé, lors de la dernière décennie, de piller les figures et les récits du cinéma d’action et d’aventure, d’Indiana Jones à James Bond en passant par le film de braquage et de cape et d’épée, il était attendu que le cinéma hollywoodien tente de récupérer tôt ou tard sa marchandise. Un pari difficile, puisqu’il implique de donner un nouveau souffle à un genre à l’agonie, dont les récentes relectures ont consisté à le réinvestir sur un mode quasi parodique (Jumanji, Jungle Cruise) ou à continuer d’en enterrer les icônes (Mourir peut attendre). Le quatrième jeu sorti en 2016, A Thief’s End, concluait ainsi lui-même les aventures de Nathan Drake sur une retraite au soleil, non sans tenter un peu maladroitement d’absoudre le personnage en lui offrant la possibilité de céder enfin à l’appel du foyer et d’en finir avec les pillages et dévastations aux quatre coins du monde (Panama, Népal, Indonésie, Colombie, Yémen, Madagascar : la saga était aussi un petit tour operator colonial). Comme pour contourner l’impasse et le caractère conclusif du dernier volet, ce prequel cinématographique d’Uncharted raconte l’aventure inaugurale d’un Nathan Drake juvénile (Tom Holland), qui a retrouvé sa verve et son caractère de boute-en-train. Certains de ses traits plus sombres (son appât du gain, sa tendance au meurtre et son penchant pour les fusils mitrailleurs) ont sans surprise été évacués, dans l’espoir de gagner sur tout les tableaux. Il s’agit pour le film de revenir en arrière, de retrouver l’innocence des premiers jeux et des films auxquels ils se référaient, sans reconduire la violence intrinsèque ou le trajet moral un brin désespéré animant les derniers titres des studios Naughty Dog depuis la sortie de The Last of Us en 2013 (il faudra peut-être attendre, pour cela, l’adaptation de ce dernier par HBO, prévue en fin d’année).
En découle un film d’aventures assez anachronique, qui compile sur un mode mineur et expéditif certaines scènes phares de la quadrilogie (dont celle des marchandises accrochées à l’arrière d’un avion dans Uncharted 3) et suit la structure narrative du quatrième volet tout en faisant fi de l’épuisement et de la noirceur qui le caractérisait. En règle générale, le film de Ruben Fleischer ne retient de la saga que ses nombreux leurres et tours de passe-passe. Car Uncharted n’a d’inexploré que le nom. Dans tous les jeux de la série, recyclant eux-mêmes d’autres titres (Tomb Raider en tête), le chemin était déjà tracé, le parcours fléché et balisé. Selon une approche platement rythmique du jeu de plateforme, le gameplay se résumait à l’exécution d’un programme, à avancer souvent tout droit pour appuyer sur le bouton de saut au bon moment. La résolution d’énigmes se limitait exemplairement à suivre une suite d’injonctions explicites, avant qu’une scène de destruction ne fasse écran de fumée pour donner l’impression, mais l’impression seulement, que l’imprévu guettait le joueur à chacun de ses pas. Fades et sans aspérités, la plupart des scènes d’action ou d’exploration du film sont, sans grande surprise, du même tonneau. Elles suivent un fil rouge prévisible en usant de formules que l’on pensait d’un autre temps : un braquage qui fonctionne à la perfection jusqu’au dernier moment, une trahison de la part d’un des membres du casse, une plateforme qui se décroche avant qu’une main ne se tende pour rattraper un héros en mauvaise posture, etc. Les personnages avancent le long de couloirs que l’on connaît déjà par cœur, en débitant boutades et fausses remises en question entre deux scènes de pillage dans un pays exotique.
Ce n’est seulement lorsque le film s’émancipe des jeux de Naughty Dog qu’il parvient relativement à convaincre. Dans l’ultime longue scène d’action, sans doute la plus aboutie, deux bateaux pirates sont héliportés dans le ciel des Philippines alors que différents personnages tentent de mettre la main sur un trésor inestimable. Débarrassée de l’héritage imposant de la saga (la séquence est propre au film) ou d’un quelconque besoin de développement dramatique, puisque l’intrigue touche à sa fin, la mise en scène s’en trouve libérée : on y suit avec précision l’envol et la chute des corps, leur confrontation avec la gravité et le poids de la matière, dans une surenchère spectaculaire qui transforme l’espace en un véritable terrain de jeu (les navires entrent en collision entre eux ou avec des pics rocheux, et les personnages doivent se déplacer, grimper et s’agripper en fonction de leurs mouvements pour rester à bord). Ce ne sont plus l’intrigue, les dialogues ou les paysages des jeux qui sont repris, mais la dimension burlesque, circassienne et vertigineuse du plateformer des années 2010, avec ses corps bondissant au plus près de la brèche, menacés de rejoindre à la moindre acrobatie les limbes d’un hors-champ en forme de game over. Voilà sans doute ce qui, au fond, devrait constituer l’objet d’une adaptation d’un jeu vidéo au cinéma : non pas en reprendre l’intrigue ou le déroulement programmatique, mais tenter de synthétiser, par l’interaction des corps avec leur environnement, ce qui fonde sa dynamique ludique.