L’année 2009 ne brillera pas, contrairement à 2008, par la qualité de ses blockbusters, et il fallait être bien naïf pour croire que l’inénarrable Michael Bay allait pouvoir rehausser le niveau avec la suite de son déjà bien gratiné Transformers. Pourtant, le réalisateur d’Armageddon et de Pearl Harbor a de plus en plus d’adeptes dans la sphère cinéphilique. Signe d’un rapport à l’image qui évolue, ou d’une soumission de plus en plus tenace à la démonstration de force? Un peu des deux, hélas…
Si, comme le disait Orson Welles, Hollywood est le plus grand train électrique du monde, il y a belle lurette que les réalisateurs se sont amusés à le faire dérailler. Parmi eux, Michael Bay est celui qui y a pris le plus de plaisir. Rien d’étonnant alors à ce que Steven Spielberg le rapatrie pour raviver la franchise Transformers sur grand écran, sous l’égide des studios DreamWorks et Paramount il y a deux ans. Rappelons-le, Transformers, c’est avant tout une gamme de robots capables de se transformer en toutes sortes de véhicules: voitures, camions, hélicoptères etc… Ces jouets étaient assez trépidants, l’univers qu’ils supposent, beaucoup moins. Notre seuil de tolérance, pourtant déjà très large en matière d’histoire fantastico-geekienne, est ici mis à rude épreuve: les Transformers, en effet, ne sont pas comme on pourrait le croire des créations sorties de l’usine, mais un peuple extra-terrestre, qui naît tout de ferraille boulonnée, et prédestiné à se métamorphoser en engins bien de chez nous. Bref, admettons…
La force de Michael Bay, de toute façon, n’est pas dans la mise en place d’une mythologie (ce qu’il tente par ailleurs timidement de faire dans cet opus-ci) mais d’orienter l’histoire vers un pur prétexte à l’action bourrine. Concernant ce dernier, quand il a commencé à émerger à la fin du siècle dernier avec des films produits par l’ignoble Jerry Bruckheimer, il fut vite catalogué, sans grand mérite, par la critique comme réalisateur beauf à la mise en scène visuellement illisible. Cela semblait une cause évidente, entendue. Nous aurions dû être un peu plus rigoureux. Qu’un film soit filmé n’importe comment, ça n’a rien de dramatique dans le fond, c’est même, parfois, une petite bouffée de fraîcheur. Chez Bay ce n’est pas tant le véritable problème que son symptôme. C’est pourquoi nous nous retrouvâmes un peu pris au dépourvu lorsqu’il y a quelques années, à notre grand étonnement, un public de fans se reconnut dans son outrance visuelle, quand Spielberg et De Palma louèrent ses qualités de cinéaste d’action, indiquant qu’il était le seul réalisateur du genre dont la patte était immédiatement reconnaissable (certes) et enfin quand un film comme Bad Boys II était cité comme référence directe dans Hot Fuzz. Aurions-nous raté le coche? Toujours est-il que nos arguments parurent soudain bien faibles devant cet élan d’amour. Transformers 2, la revanche est peut-être l’occasion d’y regarder d’un peu plus près et, qui sait, de rectifier le tir.
Ainsi cette suite ne s’éloigne pas vraiment du concept initial: le scénario reste imbibé d’influences spielbergiennes (on côtoie pêle-mêle: Indiana Jones, Rencontres du troisième type, Gremlins etc…) propulsant une nouvelle fois l’ado du premier film Sam Witwicky (l’impétueux Shia LaBeouf) en plein conflit inter-robot-racial (opposant les vilains Decepticons aux braves Autobots), sauf que cette fois-ci plus de robots, plus de combat, plus de bombes sexuelles sont au programme. Au premier abord, la volonté d’un spectacle décérébré où par million les dollars sont dépensés afin que gentils et méchants automates se ravalent mutuellement la façade, n’a rien de déplaisante. Le problème de Bay, c’est le manque de recul et de point de vue sur son sujet qui réduit son travail de réalisateur à une grande récréation infantile, où un gamin plus gâté que les autres exhiberait sa collection de super jouets qu’il s’efforcerait, perversement, de casser devant les yeux envieux de ses petits camarades (voir le sort réservé dans le film à Optimus Prime). Ce qui, en soit, ne serait pas si grave si la pauvreté des obsessions de Bay ne réduisait pas tout à un idiot et viriloïde concours de «qui a la plus grosse». L’obscénité du film tient dans cette volonté puérile du «toujours plus». En mettre plein la vue est peut-être le mot d’ordre, mais quand il y en a plus sur l’écran que l’œil ne puisse supporter, c’est la volonté d’écraser le regard qui s’impose alors, une manière pour l’image de s’affirmer en terrassant ce à qui elle est destinée. Ce qui, à la rigueur, serait acceptable si ça ne passait pas par un certain mépris du monde où, entre destruction du patrimoine culturel mondial et le sens bien léger de la géographie de Bay, le globe terrestre nous est présenté comme le vaste terrain de jeu des sales mioches hollywoodiens. Ce qui, dans ce cas, ne serait pas si immonde si tout cela ne tenait pas, dans l’absolu, d’une posture typiquement impérialiste qui consiste à faire prévaloir sa puissance, une façon de nous dire qu’il vaut mieux être fort et américain que l’inverse, et que lui, Michael Bay, occupe la bonne place, celle que nous, spectateurs, n’occuperons jamais. Ce qui, du coup, rend d’autant plus odieuse sa fascination pour le corps d’armée américain, cette façon de filmer avec emphase les militaires en glorifiant leur image, tandis que les politiciens, les bureaucrates ont ici le mauvais rôle, celui des trouble-fêtes mesquins. Car un politicien est quelqu’un qui n’est là que partiellement, dont l’autorité est factice et aléatoire, tandis qu’un militaire est là où il doit être, inscrit dans l’immuabilité du système hiérarchique dont le film fait l’apologie. L’important, comme le montre la lamentable scène de « résurrection » du petit Sam, c’est d’avoir l’âme d’un chef, être de la trempe de ceux qui peuvent diriger les autres, les guider vers un seul et unique objectif: maintenir et accentuer leur position de force. Le plan gimmick de Bay, où le héros court vers nous au ralenti, tenant par la main la jolie pépée du film tandis qu’une explosion embrase l’arrière-plan, est brandi comme l’étendard d’une suprématie infaillible. Toute cette complaisance de la destruction, cette misogynie au ras des pâquerettes, cet éloge du «cool» résonnent pourtant comme l’aveu lugubre d’une incapacité notoire à faire du cinéma simplement, loin de tout matérialisme et de la démesure des moyens.
Un aparté, pour finir, sur Steven Spielberg, dont il ne faudrait pas minimiser le rôle de producteur exécutif. Devant Transformers 1 et 2, un autre film produit par lui et DreamWorks, par ses similitudes de scénario et sa même motivation mercantile, nous revient à l’esprit: le très plaisant mais un peu oublié Small Soldiers (1998) de l’injustement placardisé Joe Dante, destiné à l’origine à lancer une nouvelle gamme de figurine. Dante en détournait le caractère promotionnel pour faire part de son profond dégoût de la chose militaire en fustigeant sa connerie obsessionnelle à accomplir sa mission et sa stigmatisation de l’ennemi qu’elle désire aveuglément exterminer. Le film fut un bide, et Spielberg ne fit plus jamais appel au service de Dante qui n’a réalisé qu’un long-métrage depuis. Dans cette opposition entre deux films au départ proches mais écartés à l’arrivée par des sensibilités politiques antagonistes, se situe l’ambiguïté du réalisateur de E.T., dont la bonne conscience démocrate cède face aux impératifs commerciaux, quitte à mettre en avant les idées les plus douteuses. La conservation du pouvoir passe nécessairement par cet affaissement idéologique. C’est dire sa bassesse.