La presse à scandale s’en souvient sans doute encore comme l’un de ses plus gros tirages, et l’une de ses meilleures ventes. L’émotion que souleva l’événement à travers le monde fut sans commune mesure. Mais on oublie bien souvent que les circonstances romanesques de la mort de la princesse Diana, dans un accident de voiture à Paris le 31 août 1997, cachent des conséquences politiques beaucoup plus sérieuses. Stephen Frears nous le rappelle, et revient sur les suites du drame à travers une plongée parfaitement maîtrisée dans l’intimité de la reine et de son nouveau Premier ministre Tony Blair. Un excellent prétexte pour parler du pouvoir, mais aussi des hommes et des femmes à qui on le confie.
On le sait, les Britanniques ne font rien comme tout le monde. Non seulement ils roulent à gauche et refusent l’euro, mais surtout, s’ils ont choisi, à l’instar de nombreux autres pays comme le Danemark, la Belgique ou l’Espagne, une monarchie constitutionnelle, les sujets de la Couronne n’ont eux, justement, pas de constitution écrite. Le nouveau film de Stephen Frears, entre fiction de la reconstitution et réalité des archives, s’attache à décrire précisément les paradoxes et les difficultés de ce système politique très particulier, ainsi qu’à décrypter les rapports de force qui s’immiscent tacitement, subrepticement, entre la Couronne d’une part, censée choisir et conseiller le Premier ministre, et le gouvernement d’autre part, qui a le devoir d’obéir à la reine. Mais comment se passe, dans les faits, ce qui ne reste qu’un principe, qu’une idée, qu’un concept ? Pour répondre à cette question, le réalisateur et son talentueux scénariste Peter Morgan ont fait le choix de la démonstration par l’exemple en revenant sur un des événements les plus dramatiques, mais aussi les plus symptomatiques survenus depuis la Seconde Guerre mondiale : la mort brutale de l’ex-princesse Diana, et la gestion par les différentes autorités, pendant la semaine qui précède ses funérailles, de la crise majeure qui suivit.
Ceux qui s’attendent à revivre, à travers The Queen, la tragédie d’une femme hors du commun, qui périt lors de circonstances tout à fait romanesques il y a bientôt dix ans, ne seront pas totalement déçus — même si c’est loin d’être le principal propos du film. En quelques images d’archives particulièrement bien choisies (interviews télévisées, magnifiques photos de paparazzi) et à travers des reconstitutions crédibles et jamais ridicules (c’est rare !), Frears réussit à nous faire sentir toute la nostalgie, le désarroi, le mal-être d’une Lady qui manifestement n’était pas à sa place. Mais ces documents, plus subtilement, nous font découvrir une facette assez méconnue de Diana, de celle notamment qui savait jouer de son charme et de ses émotions, faire parler ses yeux, celle qui, on n’hésitera pas à l’écrire, se faisait parfois manigance et manipulation. Celle en fait qui, comme elle l’annonça après son divorce, ne comptait pas se retirer de la vie et des affaires publiques en s’affranchissant de la famille royale. En un mot, la Diana politique.
C’est que The Queen est avant tout un film politique. De la politique-fiction, comme on dit aujourd’hui, mais vraiment efficace. Ses premières minutes nous présentent ainsi l’angoisse d’un Premier ministre fraîchement élu, le travailliste Tony Blair, quelques instants avant sa première rencontre avec la reine. Représentant le changement — d’aucuns diront même, la révolution — après l’ère mouvementée, souvent contestée, de Margaret Thatcher, il est ballotté entre cet impératif de tenir tête à Elizabeth II et celui de lui prouver sa loyauté et de respecter l’étiquette royale. Tiraillé, en quelque sorte, entre traditions et modernité. Un vrai défi pour ce monarchiste convaincu… De son côté, la reine n’hésite pas à rappeler à son nouveau chef de gouvernement la nature du rapport de force : il est son dixième Premier ministre − et le premier n’était autre que Churchill. Elle expédie leur rencontre à Buckingham en un quart d’heure, quinze minutes qui suffiront à Blair et sa femme Cherie pour se ridiculiser par leur manque d’élégance et leur méconnaissance des codes comportementaux. Une nette domination de la reine sur son ministre donc, mais que va bousculer et même faire basculer le tragique accident de la mère du futur roi d’Angleterre…
La crise sans précédent que va alors connaître la Couronne, crise quasi constitutionnelle, qui cherchera à remettre en question la légitimité de la reine elle-même, donne lieu à une tension dramatique magistralement mise en scène, qui tient en haleine sans temps mort. Les affrontements psychologiques entre la Couronne et le gouvernement en général, la reine et Blair en particulier, mais aussi les doutes et les remises en question de chaque protagoniste au sein de son propre parti, de son propre point de vue, ne pourraient être aussi bien rendus sans la qualité de la plupart des comédiens, Helen Mirren et Michael Sheen en tête, de l’écriture du scénario et des dialogues, et des reconstitutions. Car s’il est facile de reproduire le brushing si reconnaissable d’Elizabeth II ou les tenues vestimentaires aléatoires des Blair, on n’a au contraire pas l’habitude de voir, par exemple, la famille royale d’Angleterre au quotidien, dans son château de Balmoral en Écosse. Une plongée très réaliste à laquelle on adhère presque sans concession. On regrettera peut-être le manque de finition de rôles pourtant essentiels, le prince Philip, l’épouse et le conseiller en communication de Tony Blair, qui tous représentent une conscience morale et politique majeure pour ceux qu’ils épaulent. Mais dans l’ensemble, le pari de Frears et Morgan est réussi : on croit à leurs personnages, on se laisse prendre à leur intrigue équilibrée, sans parti pris, et on apprend beaucoup sur le fonctionnement du pouvoir. On a, aussi, la confirmation que les Britanniques adorent leur reine…