D’où viennent les crashs d’avion ? Là où le sens commun répond : d’une défaillance technique, Boîte noire de Yann Gozlan explore la piste d’une vaste conspiration industrielle, où des experts de la sécurité aéronautique intriguent avec des start-upers aux dents (forcément) longues. Voilà la ligne complotiste que le film suit consciencieusement, en se focalisant sur un personnage, Mathieu Vasseur (Pierre Niney), spécialisé dans le décryptage des crashs aériens. Son allure de geek blême, les bureaux gris où il travaille avec ses collègues, les longues analyses acoustiques auxquelles il se livre, donnent le ton d’une mise en scène très technique, centrée sur le travail des spécialistes, quelque part entre Le Bureau des légendes et Le Chant du loup. Ces deux références, qui sautent aux yeux dès le début du film, aussi bien à travers la piste de l’attentat islamiste (vite abandonnée) que par le travail concret de son personnage principal (Vasseur est un acousticien à l’ouïe hypersensible) situent Boîte noire dans le champ d’un cinéma d’experts ; il en a les qualités et les limites.
Ses qualités sont essentiellement scénaristiques : les découvertes progressives de Vasseur ancrent le film dans un imaginaire paranoïaque assez étouffant, qui pourrait rappeler les grands thrillers conspirationnistes du cinéma américain des années 1970 si Boîte noire visait aussi la critique politique, s’il scrutait, comme l’ont fait un Lumet ou un Pakula, les structures d’un pouvoir anonyme ici cachées derrière le crash d’un Boeing. Ce n’est pas vraiment le cas, la paranoïa n’étant ici que l’autre nom de la technophobie. Cette terreur, qui traverse tout le cinéma français (souvent sous des formes comiques, comme dans Les 2 Alfred ou Effacer l’historique), trouve une forme de catharsis dans le dernier mouvement du film, au moment où s’éclairent les enjeux du complot. Le bon technicien (Vasseur) qui enquête pour le bien des familles des victimes trouve son antagoniste dans la figure d’un jeune entrepreneur cynique, Xavier Renaud (Sébastien Pouderoux), qui expérimente sur les avions des processus de pilotage contrôlé et automatisé. Dans la séquence finale, Renaud donne une conférence de presse qui doit asseoir sa domination sur le marché de la sécurité aéronautique ; il résume en quelques phrases la fable d’Icare et s’interroge sur son sens : Icare est-il mort pour avoir voulu se rapprocher des dieux ou plutôt « parce qu’il n’avait pas assez bossé la conception des ailes et de la cire ? » Cette vision purement technique du mythe résume paradoxalement celle d’un film aux qualités de conception indéniables, mais au fond incapable de montrer plus que ce qu’il raconte – comme si le scénario de Blow out avait été réécrit par une équipe de polytechniciens.