Plongée muette dans l’univers de vaches aux prés, Bovines est un curieux objet, pas toujours facile à attraper. Entre le documentaire contemplatif, le pamphlet anti-viande et l’ode au monde animal, ce premier film s’étire un peu en longueur mais propose un regard décalé pas inintéressant.
C’est l’histoire d’une vache, de deux vaches, de trois vaches… L’histoire d’une communauté de vaches, filmées dans leur environnement naturel, le pâturage, que le réalisateur a visiblement voulu regarder autrement. Le film pourrait être sous-titré « la vie quotidienne des vaches ». Au départ, la caméra, très tranquille, s’attarde sur les déambulations dans le pré, tandis que des meuglements remplissent petit à petit l’espace. Le réalisateur observe cette petite société animale entre gros plans sur la mastication, dégourdissement de pattes et léchouilles entre bêtes. L’ensemble, concentré dans l’espace du champ d’herbe et du ciel, peine un peu à intéresser. Mais les cadrages – un gros plan sur un museau, une entrée de champ intempestive d’un animal plus vif que les autres, une vache venant se planter face caméra – instillent dans ce prologue un humour tendre.
Passé le prologue, difficile de savoir où veut nous emmener le réalisateur. Car la suite reste sur le même rythme, celui du quotidien qui lentement s’égrène. Se lever, manger, dormir… ce n’est que ça et c’est un choix assumé. Néanmoins, certains éléments viennent apporter une dramatisation au théâtre de ces bovines. Entièrement à son observation de l’existence de la vache, Emmanuel Gras capte les changements de l’environnement pour mieux ancrer celles qu’il scrute dans la nature. Filmés dans des tons très naturalistes, le petit matin, la brume, puis l’arrivée de l’orage créent ainsi une mini tension : où vont-elles se réfugier ? Cette tension est créée par l’absence totale de l’homme dans une grande première moitié du film et, par conséquent, par une focalisation sur ces vaches jamais montrées de la sorte.
Au milieu de cette quasi-torpeur, de ce rythme languissant, quelques événements viennent bouleverser le quotidien. D’abord, cette scène de mise bas, où l’on ne voit que la vache de face avant d’entendre tomber le petit vers lequel elle se tourne. Puis, surtout, l’arrivée de l’homme. C’est la seconde dramatisation du film. L’homme n’est pas montré comme un bourreau, il surgit dans le champ lui aussi avec son petit, laissant le réalisateur poursuivre dans le registre d’une certaine douceur. C’est l’arrivée de la machine qui va bouleverser l’ordre. Tout à coup, les vaches sont emmenées dans une camionnette. Pas de violence en tant que telle dans cet acte, mais un bruit de moteur qui vient couvrir les meuglements et un panneau, « race charolaise », à l’arrière de l’engin. Le quotidien de l’homme au travail et celui de la vache viennent alors s’affronter. Tout à coup, c’en est fini de la nature, on entre dans le monde du commerce. La réussite d’Emmanuel Gras est d’avoir pris le contre-pied d’un documentaire dénonciateur ; en installant une proximité avec l’animal et en faisant de son rythme naturel l’axe central du film, tout en choisissant de le laisser muet, il introduit une incongruité dans l’arrivée de l’homme. On ne regardera plus jamais les vaches de la même manière.