Cocorico. Avant-hier a été remis le Grand Prix de la Semaine de la Critique par son président, Kleber Mendonça Filho, et devinez quoi : c’est un documentaire, il est français, et c’est vraiment très beau. Makala d’Emmanuel Gras suit le périple de Kabwita, producteur et vendeur de charbon artisanal, depuis son village reculé jusqu’à Kinshasa. Entre les deux, une cinquantaine de kilomètres. Le film montre Kabwita fabriquer du charbon lui-même en coupant un énorme arbre desséché pendant toute une journée, avant de le faire brûler sous des mottes de terre agglomérées encore un jour de plus. Surtout on le voit faire tenir en équilibre une tonne de marchandise sur une esquisse de vélo (deux roues, un cadre), et l’acheminer à bout de bras pour le vendre à la ville. En 1h36, Makala ne raconte rien de plus que cette expédition d’escargot, et pourtant c’est prodigieux. C’est stupéfiant, parce qu’en filmant le labeur dans sa durée, il montre du temps. Comment ? En le faisant peser de plus en plus lourd sur les épaules de son personnage, et exister physiquement. C’est tangible lorsque le chargement bascule au bord d’une route : cette masse échouée représente un gain potentiel, et il ne faut pas moins de quatre paires de bras pour la relever – c’est la double charge du temps passé à travailler (que représente sa cargaison), et du temps perdu qui s’accumule. Il faut voir, au bout du chemin, son charbon s’écouler en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, et surtout le frêle profit qu’il en tire, pour comprendre à quel cycle éternel il appartient : sitôt vendu qu’il faut déjà recommencer. Mais tout cela ne serait rien, ou pas grand-chose, sans le regard d’Emmanuel Gras, dont la caméra semble en apesanteur. Les images flottent à la surface du réel, et le récit s’écarte nonchalamment du présent de l’action pour se donner des airs de mythe, faisant de cet anonyme villageois un petit Sisyphe. Après les grosses Bertha lourdement allégoriques de la sélection officielle (Zviaguintsev, Lanthimos, Loznitsa, pour ne citer que les plus assommants), c’est dire si ce gracieux Makala offrait une bouffée d’oxygène.