Chronicle : un titre surprenant pour un teen-movie de super-pouvoirs. Sans doute par ce qu’il s’agit avant tout de raconter l’histoire de ses protagonistes, de la chroniquer, plutôt que d’aligner les moments de bravoure d’un film à effets. De remarquables intuitions, de bonnes références, le tout pour manquer, malgré tout, l’occasion de faire un grand film. Manquer, mais de peu.
Il convient aujourd’hui que les œuvres de fiction se mettent à portée de tout un chacun : plus que jamais, l’écran fonctionne en miroir. L’écran, parce que le colossal panneau de cinéma semble devoir être égal, aujourd’hui, à celui de la télévision, de l’ordinateur, voire du téléphone mobile. Parce qu’elle est à portée de main, l’image va devoir également se placer au plus proche du monde de son spectateur : à défaut d’apporter une vision du monde neuve, il faut, au moins, coller à la vision du monde de son auditoire. C’est un double enjeu pour Chronicle, à la fois thématique, et formel : porté par une mise en scène caméra à l’épaule, le film va donner vie aux fantasmes de chacun, et à leurs dérives. À défaut d’apporter du neuf, à défaut de réfléchir sur son propre médium, Chronicle, dans le cadre de ses ambitions limitées, remplit bien son cahier des charges.
Le genre du teen-movie n’a que rarement été remarqué pour ses ambitions narratives et formelles : tout au plus peut-il être l’expression littérale d’une époque, puisqu’il fait tout pour coller aux désirs de son auditoire. Chronicle n’échappe pas à la règle : avec son portrait de trois d’adolescent exposés aux radiations, et qui développent le don de télékinésie, il brosse un portrait convaincant de la génération Web 2.0, de son rapport à l’image, de son désir de satisfaction immédiate.
Formellement, le film parvient à un point d’équilibre que le genre du « caméra à l’épaule » n’avait pas, jusque-là, atteint : on pense ainsi immédiatement à The Blair Witch Project, l’ancêtre déjà oublié (et à juste titre), on pense à une myriade d’autres projets où la forme ne s’est jamais trouvée vraiment justifiée (en vrac : les [REC], Diary of the Dead, The Troll Hunter…), mais également et surtout à Cloverfield. Le film de Matt Reeves se voulait asphyxiant par la panique absolue qu’il créait via son style de mise en scène ; il se voulait également l’une des premières stigmates laissées par le 11-Septembre sur le geste cinématographique. L’urgence, la nécessité de filmer, même et surtout les choses les plus épouvantables : voilà ce dont il était question.
Chronicle prend un autre chemin : la majeure partie du film est vue par le biais de la caméra d’Andrew Detmer (Dane DeHaan), un jeune homme dont la mère est clouée sur un lit de souffrance et dont le père est un alcoolique violent. Il décide, sans savoir réellement pourquoi, de filmer sa vie. « Est-ce que tu n’as pas l’impression de t’éloigner du réel ? », lui demande l’un de ses rares amis, et le jeune homme de répondre : « c’est peut-être exactement pour ça que je le fais »… À voir cet échange, on dresse l’oreille : est-ce que Chronicle serait doté d’un propos formel intéressant, va-t-il se pencher sur la question, centrale, du paradoxe de l’image moderne, qui plonge au sein du réel tout en s’en éloignant toujours plus ? Mais non. La question reste sans suite. Malgré tout, l’obsession de filmer de son protagoniste est crédible, et permet de dresser un portrait pertinent du quotidien de l’ado. Un miroir, donc.
Le point de départ n’est jamais le problème du genre « caméra à l’épaule ». En revanche, trouver une justification au maintien de cette forme tout au long du film est plus délicat. Chronicle, passé les moments de « journal intime » de son protagoniste, courait le risque d’emprunter la voie de ses cousins formels précités, et de perdre tout crédibilité au profit d’une simple recherche de l’effet. Malin, le film évite cet écueil majeur en choisissant de s’octroyer un millier d’yeux : la suite du film va ainsi passer de la caméra d’Andrew à des écrans de télévision, de téléphone, de caméras de surveillance…, le tout, au service d’un rythme narratif effréné. Le constat s’impose alors : le monde est un film. Plus rien de la société occidentale moderne n’échappe à la frénésie de l’image : Chronicle en fait état… mais ne va pas plus loin, hélas. Cette intelligence formelle n’accouche donc de rien.
L’année dernière, le médiocre James Wan sortait Insidious, copie sans vergogne ni beaucoup de talent de Poltergeist, et confirmation d’une tendance : la jeune génération de spectateurs américains a besoin qu’on lui réactualise ses mythes, sans doute parce qu’elle ne saurait tolérer les imperfections (ou perçues comme telles) des films originaux. Chronicle appartient exactement à la même famille filmique qu’Insidious : le remake inavoué, en l’occurrence de Carrie au bal du diable de Brian De Palma (1976). Dans les deux cas, il est question d’un adolescent renfermé, qui développe de puissants pouvoirs de télékinésie, et qui en perd le contrôle du fait de son inadaptation au monde.
Si le thème est exactement similaire au film de De Palma, le traitement proposé par Chronicle est bien plus actuel, basé en substance sur le principe de l’identification exacte des personnages au spectateur. Aux questions fantasmatiques naturellement posées par ce principe, le film répond de façon crédible : un super-pouvoir n’arrange rien aux soucis du quotidien – quelle déception, pour qui voulait y voir la clé d’une gratification immédiate.
Situé au croisement du ton réaliste de la série britannique Misfits et du traitement mature de Magneto dans la saga X‑Men, Chronicle fait montre d’un savoir-faire certain. Porté par la prestation convaincante de son interprète principal, le film dépasse donc l’exercice simple de réécriture de Carrie à la sauce moderne. Teen-movie malin et efficace, Chronicle se refuse à explorer des pistes plus intéressantes, dont il a pourtant manifestement conscience. Doit-on, dès lors, penser que cette absence d’exigence, voire d’intégrité, est aussi un – triste – reflet de ce qu’attend son auditoire ?