Le box-office se préparait à célébrer le retour de Wes Craven avec son brillant Scream 4, mais le public en a décidé autrement. Les nouvelles aventures de Sidney Prescott face au tueur masqué sont décidément bien trop théoriques pour les spectateurs de 2011, qui lui ont préféré, de façon totalement inattendue, une petite histoire de maison hantée comme on en produit des dizaines chaque année : Insidious. À première vue, pourtant, pas de quoi fouetter un mort-vivant : réalisé par James Wan, aux commandes du premier Saw et d’une multitude de nanars aux titres interchangeables (Dead Silence, Death Sentence), Insidious raconte l’histoire d’un gentil couple qui emménage avec ses trois enfants dans une belle et grande maison dans laquelle, on s’en doute bien vite, quelque chose ne tourne pas rond. Quand le fils aîné tombe dans un long coma suite à une chute dans le grenier, des événements de plus en plus étranges et inexpliqués commencent à se produire. Ni une, ni deux, la famille décide de déménager. Problème : ce n’est pas la maison qui est hantée, mais le petit garçon lui-même.
Depuis que Kubrick a réalisé Shining, comment faire du neuf avec des portes qui grincent, des morts qui reviennent à la vie et des pères de famille qui pètent les plombs ? Le réalisateur James Wan ne semble même pas se poser la question. Insidious ratisse large : un peu de Paranormal Activity (les deux films partagent les mêmes producteurs) par ci, une pincée d’Amityville par là et hop, le tour est joué. Le film emprunte surtout beaucoup à Poltergeist, « réalisé » par Tobe Hooper (Massacre à la tronçonneuse) en 1982 : l’intervention d’une équipe de scientifiques spécialisés dans le paranormal, menée par une médium aussi efficace qu’excentrique, est littéralement copiée-collée du film de Hooper. Les références de Wan ne s’arrêtent pas là : de l’esthétique baroque de Dario Argento à l’humour potache et grinçant de Sam Raimi, c’est tout un pan du cinéma de genre qui est convoqué, jusqu’aux chefs d’œuvre – au détour d’un plan, une silhouette inquiétante rappelle Les Innocents, de Jack Clayton.
Une telle somme d’ingrédients aussi disparates peut finir en bouillabaisse indigeste et bien souvent, Insidious consterne plus qu’il ne réjouit. Situations téléphonées, direction artistique kitschissime (les limbes dans lesquelles erre le vilain démon ressemblent aux décors d’une mauvaise comédie musicale sur Dracula), dialogues affligeants : difficile de ne pas passer la moitié du film à lever les yeux au ciel. Pour autant, James Wan parvient à ménager de vrais moments d’angoisse pure, qui fonctionnent parce qu’ils s’appuient sur des principes très simples de mise en scène. Exemple : l’héroïne est dans son lit, elle entend un bruit, puis distingue une ombre derrière la porte vitrée. La scène, étirée jusqu’à la rupture, repose sur un effet aussi vieux que le cinéma lui-même, le hors-champ, que vient briser la monstration aussi hystérique que furtive de l’objet même de la montée de l’angoisse. Wan utilise cet effet à maintes reprises et avec le même plaisir masturbatoire : à ce titre, Insidious regorge de scènes d’anthologie, proprement terrifiantes, qui viennent pimenter la lecture un peu premier degré d’un film qui ne cesse de tendre le bâton pour se faire battre. Par ce savoir-faire de technicien d’Hollywood qui n’hésite pas à multiplier les clins d’œil un peu putassiers, Insidious finit par devenir sympathique et, dans ses meilleurs moments, transcende sa médiocrité en nous rappelant que le cinéma, parfois, n’a pour seul but que de nous faire bondir sur nos fauteuils. Ce n’est déjà pas si mal.