Irrégulière œuvre que celle de Romero autour de sa saga des morts vivants : dix ans séparent La Nuit des morts vivants de Zombie, neuf ans avant Le Jour des morts vivants, lui-même précédant Le Territoire des morts de… vingt ans. Et voilà qu’à peine deux ans après, le père des zombies remet le couvert avec un essai à la Blair Witch. Romero est-il devenu trop gourmand, trop rapide, trop grisé par le demi-succès d’un quatrième volet artistiquement en demi-teinte ? Rien n’est moins sûr. Entre maniérisme visuel et ironie mordante et sombre, Romero signe ici un film malheureusement explicatif, mais qui n’est pourtant pas exempt de la hargne revendicative qu’on lui connaît.
Le cinéma caméra à l’épaule est devenu, au fil du temps, un genre en soi, et ce d’autant plus que rares sont les films qui ont su tirer parti de cette forme bâtarde, entre cinéma et télévision. Ni Le Projet Blair Witch, ni Cloverfield, ni [REC] n’ont su réellement dépasser la simple utilisation de leur format esthétique : seul, à vrai dire, le précurseur du « genre », le drôle et terrible C’est arrivé près de chez vous, a jamais réussi à faire exister son propos en dehors de sa forme particulière. George A. Romero, le cinéaste revendicatif de la saga des morts vivants, est tout sauf un réalisateur formaliste. Sa réalisation parfois brouillonne est toujours soutenue par un discours hargneux et revanchard, politisé à l’extrême, et qui prend souvent le pas sur toute autre forme d’expression à l’écran. Ainsi, la forme de son Territoire des morts, datée et délibérément bis, n’a pas été sans déconcerter les spectateurs à sa sortie, il y a deux ans de cela, alors que son discours politique était toujours plus pointu et plus critique. Qu’attendre donc de la rencontre de Romero et du « genre caméra à l’épaule » ?
Chroniques des morts vivants, à cet égard comme sous d’autres aspects, est une surprise. De ses propres termes, Romero avoue avoir voulu retrouver les sentiments de ses premières années, les tournages minimalistes comme La Nuit des morts vivants, en 1968. Avec un budget sept fois inférieur à celui du Territoire des morts (ce qui fait tout de même 2 millions de dollars), Romero revient donc à un récit plus intimiste, alors que l’ampleur de la saga allait en s’amplifiant à chaque nouvel épisode. Finalement, la logique prévaut : à la fin du Territoire, les morts et les vivants sont en vis-à-vis (si l’on ose dire), mais les morts ont remporté la victoire, les vivants n’étant plus qu’en sursis. La saga des morts vivants est finie, et les vivants sont vaincus. Chroniques s’intéresse donc à un petit groupe, certainement chronologiquement contemporain du précédent film, dont un des membres décide de filmer l’aventure pour la postérité.
Faible, très faible début que celui choisi par Romero pour expliquer la raison de la « caméra à l’épaule » − ce qui est d’ailleurs le problème récurrent des films du genre. Et pourtant… Pourtant c’est en cela que Romero parvient à surprendre. Au fil de son traitement des rapports des personnages, au fil d’une intrigue finalement assez éloignée d’un film de zombie traditionnel, Romero parvient toujours à faire passer le message, et réussit là où tous les autres, Belvaud, Bonzel et Poelvoorde exceptés, avaient échoué. Il parvient à faire oublier, à justifier sa forme, pour se concentrer sur le fond. Il fallait se forcer pour déceler le discours subversif sur l’image dans [REC]: point n’est besoin d’en faire autant pour le dernier Romero. La recette finalement, est simple : il s’agit avant tout de se souvenir que ce qui est montré est aussi important que la façon de le montrer…
Comme toujours imprégné de ses réflexes de cinéaste bis, Romero explicite largement, et avec de sombres lourdeurs, sa critique du tout-médiatique. Ses Chroniques sont donc bancales, inégales, emplies d’un humour de grand guignol inventif, étonnant et assez bienvenu (si vous vous demandiez ce que devient un zombie avec les électrodes d’un appareil à chocs cardiaques sur les tympans, le mystère vit ses dernières heures), lorgnant parfois sur le Z – mais par miracle, la sauce prend. Romero le note lui-même : « J’ai autant adoré la façon dont s’est fait Chroniques des morts vivants que le film lui-même. (…) Et cette fois, si [le public] ne l’aime pas, il ne faudra pas blâmer les “bureaucrates” des studios. Juste moi. » Pas parfait pour un sou (mais son public n’en a jamais demandé autant à Romero), par moments très basiquement dogmatique, et en même temps d’un pessimisme oppressant, Chroniques des morts vivants continue un œuvre intellectuel imparfait, mais toujours stimulant. C’est bien plus que ce dont beaucoup peuvent se vanter.