N’est pas Robert Altman qui veut. C’est un peu le sentiment que l’on éprouve après avoir vu Collision, le premier film de Paul Haggis, l’heureux scénariste de Million Dollar Baby. Gros succès critique et public aux États-Unis, où il est d’ores et déjà pressenti pour les Oscars, Collision est l’exemple parfait de l’idée que se font la plupart des Américains du cinéma d’auteur : un sujet à thèse (ici, les tensions raciales à Los Angeles), une batterie d’acteurs plus ou moins connus dans des rôles à contre-emploi, un scénario alambiqué brassant plusieurs personnages… Et voilà : mélangez le tout, sortez le film dans une période creuse (le printemps, aux États-Unis) et vous obtenez de quoi ravir les professionnels, les critiques et, avec un peu de chance, le public.
Le postulat est ambitieux : Collision suit la vie, sur 24 heures, d’une poignée d’habitants de Los Angeles qui, d’une façon ou d’une autre, va être confrontée au racisme. Flic, procureur, voyou, réalisateur à la télévision ou épicier, ils vont tous traverser dans la même journée un événement qui va bouleverser leur vie. Sujet épineux, dont le réalisateur fait son miel dès les premières scènes du film. Chaque comédien se voit affublé d’un rôle aux antipodes de ce qu’il a l’habitude de faire et il y a un réel plaisir à voir, par exemple, Sandra Bullock jouer une détestable bourgeoise engoncée dans sa xénophobie rance (ça doit la changer des comédies romantiques chargées en cholestérol). Le message n’est pas nouveau mais, en ces temps de manifestations de haine raciale partout dans le monde, il a le mérite d’être clair : le racisme ordinaire pourrit la société dans toutes ses classes, chacun reste enfermé dans ses préjugés et l’être humain est capable du meilleur comme du pire, parfois dans la même journée.
Le problème avec les intrigues multiples, c’est que leur degré d’intérêt est très variable. Altman avait superbement réussi un tel patchwork dans Short Cuts, et Paul Thomas Anderson ne s’était pas trop mal débrouillé non plus avec Magnolia : tous les personnages existaient réellement et les regarder s’agiter comme des poissons dans un bocal avait quelque chose d’à la fois pathétique et bouleversant, probablement parce que les deux cinéastes, entre mépris et compassion, y avaient mis beaucoup d’eux-mêmes. Contrairement à ses prédécesseurs, Paul Haggis est beaucoup plus maladroit. En cours de film, il délaisse certains personnages pour se concentrer (à juste titre) sur d’autres, plus intéressants. Logiquement, c’est en cours de montage que se gère ce genre de dilemme, mais il est difficile de couper des scènes anecdotiques quand elles sont interprétées par Sandra Bullock et Brendan Fraser, vedettes alléchantes pour la promotion du film… Une situation faustienne que le metteur en scène ne parvient jamais à régler.
Par dessus tout, Collision souffre des mêmes défauts que Million Dollar Baby (pour ses admirateurs, un chef-d’œuvre, rien de moins ; pour ses détracteurs, un abominable mélo à peine sauvé par l’élégante mise en scène de Clint Eastwood). Est-ce le fruit des nombreuses années qu’il a passées en tant que scénariste de Walker Texas Ranger ? Dans le dernier tiers du film, le cinéaste choisit d’appuyer son propos (au cas où l’on n’aurait pas bien compris) en employant des procédés qui feraient rougir un Lars von Trier. Le summum est atteint lorsque l’un des personnages, aveuglé par son désir de vengeance, tire à bout portant sur un jeune père qui tient sa fillette dans les bras. Passons sur le montage emphatique de la scène, engluée dans une musique au lyrisme pompier ; le pire ici, c’est qu’après nous avoir fait endurer pendant plusieurs (longues) minutes la douleur des personnages, le metteur en scène retourne sa veste : la fillette n’a rien, le revolver était chargé à blanc, la famille peut rentrer chez elle et le monsieur au revolver aura appris une bonne leçon. Tant de cynisme et de manipulation a de quoi donner la nausée, et pourtant Haggis ne s’en prive pas, utilisant ce minable procédé plusieurs fois vers la fin du film. Vu le nombre de personnages et d’intrigues annexes, le spectateur n’a pas droit à un, mais plusieurs happy-ends du même genre.
Dans le dossier de presse, Paul Haggis dit avoir fait un film qui se veut être « un conte moral » dans lequel il souhaitait « jouer avec les stéréotypes, avec les idées toutes faites que l’on a sur les étrangers ». Mais que retient-on à la fin de Collision ? Que les gens font parfois de vilaines choses mais qu’il est possible de changer, que l’être humain est plein de contradictions et qu’on serait plus heureux si nous vivions tous main dans la main. Autant rester chez soi devant un épisode d’Arnold et Willy : ça dit la même chose, c’est moins long et ça vous économisera 9 euros.