Tout juste un an avant les élections présidentielles, le cinéma américain déploie l’artillerie lourde en ce qui concerne la guerre en Irak. Une pléthore de films dits « engagés », certains s’avançant plus ou moins masqués, sont au programme : film d’action (Le Royaume), thriller (Lions et agneaux), maniérisme digital (le déjà très controversé Redacted), et ce qui nous intéresse ici, (mélo)drame. Dans la vallée d’Elah est autant l’œuvre du scénariste Haggis que du jeune réalisateur Paul. L’un sert l’autre fidèlement, sans recourir aux effets tonitruants et vains qui avaient miné Collision.
Hank Deerfield (Tommy Lee Jones), un militaire à la retraite, apprend que son fils Mike, revenu d’Irak depuis peu, a déserté. Le corps de celui-ci est bientôt découvert dans un terrain vague. Commencent alors les investigations menées par la détective Emily Sanders (Charlize Theron) qui plongent les protagonistes dans une atmosphère de violence.
Paul Haggis profite de son sujet et dresse une liste compromettante des tares humaines : sadisme d’un jeune ouvrier qui éclate les yeux des poulets à l’usine, abus de Mike dit « le Doc » qui torture les prisonniers, hilare (« Et là, ça vous fait mal ?») ou encore folie meurtrière d’un soldat qui passe sa rage en noyant son chien. Plus tard il s’en prendra à sa femme et à son fils… Et si ces mêmes soldats renversent un enfant irakien, ils diront tout simplement que c’est « un chien qu’on a percuté ». Car la chair animale, dans sa qualité symbolique et/ou nutritive, n’est pas sans rappeler ce qu’on inflige au corps pour un peu d’oil. Que dire aussi de cette mystérieuse nuit où Mike a disparu, au beau milieu d’un agencement de pratiques masculines (striptease, bières et fastfood), sinon qu’une confusion entre la consommation et la chair s’est opérée.
Tommy Lee Jones possède cet étrange visage parsemé des cicatrices de l’histoire. Celles-ci s’ouvriront lors d’un rasage de trop près, éclaboussant ainsi un quotidien trop propre. L’allusion à The Big Shave de Scorsese est pertinente : du Viêt-Nam à l’Irak, l’histoire se répète. Souvent seul dans son cadre (Haggis privilégie les plans moyens et d’ensemble où l’acteur paraît flotter), Hank Deerfield serait une version amoindrie de l’Américain moyen (middle class), soucieux de son confort et pétri d’habitudes. L’objectif de la mise en scène de Paul Haggis, dès lors, est de faire basculer ce middle vers une marge, emmener cet homme si sûr de lui dans des contrées inconnues. Les réveils mornes du début du film vont peu à peu prendre une autre forme, plus glacée, et laisser place à la certitude qu’il se passe quelque chose, ici et maintenant. Prise de positions (politique et spatiale), certes, mais aussi belle idée de cinéma que de raconter le renversement de la constitution d’un homme enfin capable de jeter un coup d’œil hors-champ.
Paul Haggis aura beaucoup côtoyé dans les programmations festivalières son frère d’armes Brian De Palma qui a remporté le Lion d’argent pour Redacted alors que Dans la vallée d’Elah était nominé pour l’or. De cette défaite, il semble que le film ne souffre en rien puisqu’il est extraordinairement débarrassé de cette manie de gagner.