Autrefois scénariste pour Clint Eastwood (Million Dollar Baby pour lequel il fut nommé aux Oscars ou Mémoires de nos pères et Lettres d’Iwo Jima), Paul Haggis revient derrière la caméra pour la quatrième fois avec Puzzle. Comme dans son premier long métrage Collision, le destin de différents personnages n’ayant a priori rien en commun fusionne dans un mélo chorale, où de New York à Rome en passant par Paris, les pièces du puzzle prennent peu à peu leur place. La désintégration spatiale et narrative, devenue marque de fabrique de Haggis, peut-elle accoucher d’un film monde ? Rien n’est moins sûr.
Aux trois coins du monde
À Paris, Michael (Liam Neeson), qui peine à trouver l’inspiration pour son nouveau roman, attend sa maîtresse Anna (Olivia Wilde), une journaliste érotomane totalement instable émotionnellement. À quelques centaines de kilomètres, Scott (Adrien Brody), homme de peu d’envergure qui rapine des croquis de costumes Haute Couture pour alimenter un marché de contrefaçon, tombe sous le charme de Monika (Moran Atias), une jolie Roumaine désemparée à la recherche de sa fille aux mains de passeurs peu scrupuleux. Enfin, à New York, Julia (Mila Kunis), galérienne professionnelle, tente de revoir son fils, dont la garde lui a été retirée suite à de prétendus mauvais traitements.
À la différence des films choraux classiques, Puzzle, comme Collision en son temps, ne cherche pas une linéarité narrative qui ferait transiter le public d’une intimité à l’autre, hermétiquement. Au contraire le réalisateur (et scénariste) s’ingénie à faire coïncider ses univers. Un travelling à Rome s’achève dans les couloirs du métro new-yorkais, la chambre d’un grand hôtel parisien s’ouvre sur un couloir de la grosse pomme… Cet enchevêtrement structurel, soutenu par une homogénéité de la photographie et une élasticité du montage, invite à une sorte de rêverie éveillée, pas dépourvue de charme. Mais si la plastique de Puzzle se révèle séduisante, le point de jonction des différentes histoires contées par Haggis s’avère peu convaincant. Quant à l’amoncellement d’éléments irréalistes, il dévoile (trop) rapidement les intentions du metteur en scène.
Everything is a copy of a copy of a copy…
Le fait que tous les protagonistes partagent un trauma relatif à la perte plus ou moins concrète d’un enfant (décès, mise à l’écart, inceste, disparition) pourrait suffire à agréger tout ce petit monde. Mais Haggis a une autre visée, plus poétique, plus immatérielle et plus scabreuse. À mesure que des interférences se produisent entre les différents espaces (un papier rédigé à Paris se retrouve à New York, Julia croise Anna dans un couloir d’hôtel…), le dessein du réalisateur se fait jour. Mais Puzzle n’est pas L’Antre de la folie, et à force de tours de passe-passe scénaristiques pour éclairer les mystères distillés au cours des 2h20 du film, on en vient à s’ennuyer passablement devant ce bel objet.
Malgré un casting qui réunit un parterre de stars (dont la trop rare Kim Basinger en épouse rejetée), Puzzle s’enlise progressivement dans son propre récit, jusqu’au finale, sorte de précipité chimique où tous les univers se synthétisent pour expliciter, s’il en était encore besoin, la véritable portée du film. A contrario des rêves qui condensent subtilement la réalité pour en recracher une version fantasmatique, Haggis souligne, surligne et encadre ses intentions. On aurait préféré une fin énigmatique et troublante à la véritable leçon de cinéma, pénible et sentencieuse à laquelle on assiste.