Avec un premier film comme I Love You Phillip Morris, comédie « gay-friendly » qui mettait à contribution la performance déviante de Jim Carrey pour taper dans le placard du genre, on a cru voir chez le tandem de réalisateurs Glenn Ficarra et John Requa — alors scénaristes — une propension assumée à ruer dans les brancards et secouer les conventions. Las, cette fois-ci attelés à un scénario d’un certain Dan Fogelman qui a jusqu’ici surtout officié pour Disney (Cars, Cars 2, Raiponce…), les compères ramènent leurs incartades à des effets de surface, propres à amuser la galerie tout en se gardant de prendre des risques vis-à-vis d’un programme roublard, mais bien sage. C’est d’autant plus regrettable qu’il y avait de quoi faire, ne fût-ce qu’autour de l’archétype associé à l’acteur — et ici producteur — Steve Carell, son terne faciès de cadre coincé, un brin déphasé et au bord de la dépression, idéalement exploité dans 40 ans, toujours puceau.
Steve Carell, donc, ne force guère son talent — certain — ni son image — de puceau de 40 ans — dans le rôle de Cal, époux et père de famille plutôt ringard, laissé sur le carreau par la crise de son mariage routinier de vingt-cinq ans quand sa femme lui annonce qu’elle l’a trompé et qu’elle veut divorcer. Accroché à son aigreur impuissante, il croise cependant la route de Jacob (Ryan Gosling), séducteur en série qui s’impose comme son mentor pour lui faire redécouvrir sa virilité, scènes d’humiliation à l’appui. Passant outre l’interdiction faite au critique de se faire son propre film, on se prend à penser à l’intérêt que promettait ce seul postulat de départ : Carell, mâle frustré par sa propre faute, devenant leçon après leçon la chose, l’émanation, puis le pendant du blond Gosling, avec tous les sous-entendus sexuels et les dérapages qu’on peut deviner (et que certaines scènes ne se privent pas d’appuyer un peu).
Beaucoup de cul pour rien
Seulement, le scénario a choisi la sophistication, en jouant une ronde des sentiments où l’intention de s’écarter du conformisme se heurte aux impératifs de la formule du genre. Cal le quadra se réveille sexuellement en multipliant les conquêtes, mais n’oublie pas qu’il veut reconquérir sa femme, laquelle, forcément, l’aime encore ; lui-même, depuis le début, est l’objet des désirs de la baby-sitter de 17 ans de ses enfants, tandis que son fils de 13 ans fantasme sur cette dernière. D’autres liens se nouent dans Crazy, Stupid, Love, certains par surprise, mais il apparaît vite qu’à l’opposé des comédies — les meilleures — qui savent jouer des perturbations pour faire dévier leur programme annoncé conformiste vers des horizons touchant à notre intimité, l’imbroglio immanquablement engendré par la mécanique de ce film-ci (culminant dans un carambolage de virilités outragées) ne fait que préparer à l’accalmie et au retour à l’ordre bien-pensant qui suivront. Il ne s’agit pas seulement du happy-end obligé (ce détail n’a jamais entaché à lui seul la capacité d’une comédie à franchir les limites de ses conventions), mais bien d’une entreprise de négation des nuances potentiellement subversives qui ont précédé ces dernières scènes lénifiantes, notamment en accréditant les accès de verve amoureuse insipide du fiston (personnage d’enfant hollywoodien comme on aimerait les baffer : fruit du croisement maladroit des clichés sur les enfants et de ceux sur les adultes, donc jamais crédible). Crazy, Stupid, Love n’est « crazy » que dans son titre, et on regrette presque qu’il ne soit pas plus « stupid » et moins roublard.