Cela faisait tellement longtemps qu’il n’avait pas pointé le bout d’une tresse qu’on avait fini par se dégonfler de l’attendre. Mais voilà qu’il revient : le Disney de Noël ! Pour la sortie française, l’artillerie lourde est de mise : avant-première au Grand Rex avec féerie des eaux, casting VF de premier choix (Isabelle Adjani, Romain Duris) et une histoire comme on les aime avec des princesses, des preux chevaliers, une vilaine sorcière et des cheveux magiques ! Le studio se paie même le luxe du titre le plus improbable de son histoire…et le plus propice aux jeux de mots. En images de synthèses et 3D relief, le résultat est ébouriffant. Mais malgré une réelle volonté de moderniser l’approche des contes de fées, le film n’échappe pas à une impression de déjà-vu qui empêche Raiponce de se positionner complètement comme l’étendard du renouveau du studio.
Raiponce est le cinquantième film Disney. Inspiré très librement des Frères Grimm, c’est aussi un retour aux contes de fées : LA source d’inspiration qui, depuis Blanche Neige et les Sept Nains, a assuré les plus grands succès du studio. Le film est en projet depuis une dizaine d’années et a connu plusieurs ébauches. L’une d’elles, la plus décriée, envisageait à la manière d’Enchanted de propulser deux adolescents « réels » dans le monde féerique de Raiponce et du Prince. Il faut dire qu’en parallèle, les studios DreamWorks ont insufflé avec Shrek un vent d’impertinence et de second degré qui obligeait la manière d’appréhender le dessin animé. Cette voie a été heureusement écartée et l’adaptation sera classique. Du conte original au dénouement jugé trop noir, Raiponce ne garde que les principaux motifs : Raiponce, une jeune fille aux longs cheveux magiques qui ont le pouvoir de donner la beauté éternelle, Mère Gothel, une vieille sorcière qui la séquestre, et Flynn, un chevalier destitué en prince des voleurs. Mais il restait une problématique à régler : comment parler à la génération Hannah Montana, beaucoup moins crédule sur histoires de princes et de princesses tout en préservant l’esprit de Disney. Et c’est tout à fait ce que l’on ressent en voyant Raiponce, cette sensation d’être (parfois trop) en terrain connu tout en décelant une volonté de moderniser les codes historiques du studio.
En effet, bizarrement, Raiponce est peut-être le conte de fées le plus « rationnel » de Disney. Mis à part le pouvoir magique dont dispose la chevelure de la jeune fille, l’intrigue s’encombre de peu de féérie. Point de « Il était une fois » ni de Prince charmant, donc, comme on l’a vu transformé en Robin des Bois de Pacotille. Quant aux animaux acolytes des personnages principaux (un cheval et un caméléon), ils sont privés de parole et ne s’expriment que via l’anthropomorphisme de l’animation. De la même manière, une image un cheveu plus moderne est donnée de l’héroïne Disney. Au début du film, Raiponce attend le moment « où sa vie va enfin commencer ». Mais à la différence d’une Blanche Neige, le rêve de Raiponce ne se cristallise pas dans la venue d’un Prince. Flynn est plus considéré comme un moyen d’accomplir le rêve. Il n’est pas une fin en soi. C’est même lui qui y gagne à être au contact de la jeune fille. Et ce, jusqu’au final où, dans un retournement des contes habituels, il est « réveillé » par sa blonde. La quête de Raiponce est donc une quête individuelle avec comme finalité l’émancipation. Il faut qu’elle coupe le cordon. De même, dans un conte ancien, le Prince serait venu la délivrer de sa tour et ils se seraient mariés. Raiponce, elle, se bat contre son statut de personnage de conte de fées qui veut lui être imposé et veut être seule responsable de son ouverture sur le monde extérieur. Un trajet vers la lumière symbolisé par ces lanternes lancées dans le ciel, chaque année pour son anniversaire, lanternes qu’elle veut voir de plus près. Et tant mieux si, au passage, son échappée est pimentée par une présence masculine, mais il n’y voit aucune obligation de résultat. Raiponce est la moins fleur bleue des princesses Disney. Du coup, sa romance avec Flynn évite le trop-plein de sensiblerie. Même leur duo d’amour sur I see the light, chanson guimauve comme seul Menken sait les réussir, est contrebalancé par le fait que les personnages s’expriment en voix off et non pas directement. Disney aura au moins appris de Pixar l’art de la retenue.
S’il est difficile de dire que Disney a désormais une approche féministe de ses héroïnes, Raiponce reste en tout cas le film de la parité, avec pour la première fois un traitement équilibré entre le personnage féminin et masculin. L’enjeu, il est vrai, est d’abord commercial. Avec un sujet étiqueté « filles », Disney se devait de trouver un moyen de fédérer le public masculin. Jusqu’à leur rencontre explosive où Flynn, assommé par la poêle de Raiponce, devient momentanément un homme-objet, les premières minutes alternent entre vrai film de princesse et film d’aventures. Une fois le duo formé, l’histoire s’enrichit de cette association de contraires, obligés de cohabiter pour accomplir la quête de Raiponce. C’est un procédé scénaristique qui a déjà fait ses preuves et qui permet du coup d’éviter, par des effets de décalage, que le film sombre dans le romantisme niais. En témoigne cette séquence très drôle où Raiponce découvre le monde qui lui a été jusque-là interdit. Tandis que la jeune fille, excitée comme une puce, s’émerveille devant la beauté de la prairie, Flynn dubitatif est toujours là, en arrière plan, pour apporter un regard ironique. De fait, derrière l’histoire d’amour, se dessine aussi la rencontre entre deux inspirations. Après la scène de la taverne plutôt jubilatoire, Raiponce réussit une entrée fracassante dans l’univers « viril » de Flynn et elle parvient progressivement à le convertir à ses valeurs. Surtout, elle lui insuffle son crédo : croire et accomplir ses rêves.
La Princesse et la grenouille était, pour Disney, un retour aux sources tant scénaristique que formel, le film ayant été réalisé en 2D. Mais, ce parti prix d’ultra-classicisme avait un sentiment de réchauffé qui pouvait laisser perplexe. Sous l’impulsion de John Lasseter, à la tête du département animation de Disney et de Pixar depuis 2006, Raiponce devient le premier conte du studio réalisé par ordinateur. Le résultat est tout simplement bluffant et apporte un souffle nouveau à l’animation en images de synthèse. En effet, un très gros travail a été apporté au réalisme des personnages, à la texture des visages et bien entendu à leur chevelure. Or, on sait pourtant que les personnages humains sont ce qu’il y a de plus difficile à reproduire par ordinateur. Ce n’est pas pour rien que Pixar s’est d’abord essayé sur des histoires de jouet. Dans Raiponce, l’illusion est tellement confondante que l’on a parfois l’impression d’avoir des acteurs réels sous les yeux. Flynn (qui doit son nom au célèbre acteur de Robin des Bois) est irrésistible et il peut sans problème obtenir la palme du héros de dessin animé le plus sexy. Mère Gothel a également tout pour rejoindre le panthéon des meilleures méchantes Disney. Entre Cruella et Medusa, elle est tout bonnement détestable dans sa volonté inaltérable de conserver la jeunesse éternelle. Le choix d’Isabelle Adjani, qui la double dans les parties parlées, est d’ailleurs plutôt judicieux et l’on sent qu’elle y prend vraiment du plaisir. Par contre, Sophie Delmas, qui donne de la voix pour les chansons, a du mal à arriver à la hauteur de Donna Murphy, l’interprète américaine. La version originale est d’ailleurs à préférer, beaucoup plus riche et subtile en double sens. Même si on peut regretter que Maximus et Pascal – les animaux complices – manquent un poil de fantaisie, Raiponce trouve ainsi sa force dans la galerie de personnages qu’il propose. Il faut dire que le film, co-réalisé par Nathan Greno et Byron Howard (ils ont tous les deux travaillé sur Volt) a été supervisé par Glen Keane, un vétéran de l’écurie Disney créateur des meilleurs personnages de La Belle et la bête, Aladdin ou encore Pocahontas.
Autre prouesse technique : la 3D-relief qui n’a rien du gadget ! Raiponce est à voir absolument en trois dimensions. En effet, contrairement à bon nombre de dessins animés qui sont gonflés artificiellement en relief après leur conception, le film a été pensé dès la conception pour ce mode de projection. Il en ressort un vrai travail sur les effets de profondeur de champ et sur l’appréhension de l’espace. Deux scènes sont très impressionnantes : la première est une course-poursuite sur un barrage digne d’Indiana Jones ; la seconde, plus romantique, est le duo d’amour entre Raiponce et Flynn au milieu de lanternes qui s’avancent « hors » de l’écran. La 3D relief rend également justice aux numéros musicaux qui sont construits comme des tableaux de Broadway. Outre l’ampleur qu’elle peut donner aux chansons, la 3D permet ainsi de délimiter l’espace dans toute sa profondeur, d’exclure la notion de hors champ et d’envisager l’écran comme une vraie scène de spectacle, à l’instar du numéro de Mère Gothel sur Mother knows best. Pour orchestrer ces séquences chantées, Disney a de nouveau fait appel à une valeur sûre du studio : Alan Menken. Prodige de Broadway (c’est lui qui est derrière La Petite Boutique des horreurs), il a signé toutes les plus grandes BO des années 1990 de La Petite Sirène à Hercule avec bon nombre de tubes à la clé. Il a également apporté une dose de « show » à la production Disney en insufflant aux dessins animés les codes du musical. Comme a l’accoutumée, Menken livre une partition efficace où les numéros chantés s’intègrent parfaitement à l’action et se font échos par des jeux de reprises. Efficace mais sans surprise car trop attendu (ou entendu), entre la libération de Raiponce qui a des airs de Part of your world de La Petite Sirène, le duo d’amour incontournable, ou encore la chanson d’ouverture Where will my life begin qui aurait pu être chantée par Belle. Musicalement, le film prend donc très peu de risques. On préfèrera de loin les parties instrumentales aux accents celtiques.
Il est clair que Raiponce n’aura pas l’impact qu’avait pu avoir en son temps La Belle et la bête dans sa capacité à renouveler le studio. Car si le film a suffisamment d’atouts pour entrer dans la catégorie des classiques Disney, il n’en demeure pas moins une légère pointe de déception. Peut-être qu’à trop s’appuyer sur des faiseurs historiques comme Keane ou Menken, le studio se prive du grain de surprise qui permettra de prendre une direction complètement nouvelle. Le fait que le projet ait connu de multiples ébauches et ait été terminé dans la précipitation peut aussi expliquer quelques tâtonnements dans la direction générale du film. Le dernier quart d’heure manque également de densité et paraît expédié. Pourtant c’est précisément dans ce final que l’on était à un cheveu de voir le genre transfiguré. Mais au tragique, Disney a préféré l’éternel happy-end. Que les parents et grands parents se rassurent donc. Ce n’est pas encore aujourd’hui que l’on verra des princesses veuves ou mères célibataires chanter une Bad Romance. Au royaume des fées, rois et reines continuent de se marier, de vivre heureux et d’avoir beaucoup d’enfants.