C’est peu dire que le climat anglais ne paraît pas du meilleur effet sur le cinéma bouillonnant et inventif d’Álex de la Iglesia, l’auteur de Mes chers voisins, 800 balles et autres perles de sensibilité artistique où se mêlent aisance formelle, penchant pour la comédie humaine et sociale acérée, influence du cinéma d’horreur et cinéphilie décomplexée. Ici tournant en langue anglaise avec un casting international, il peine singulièrement à faire exister un film lesté par son postulat guindé de thriller estudiantin où le macabre des romans de P.D. James côtoierait la légèreté d’une lecture calibrée pour ados. L’intrigue policière où sont convoqués Pythagore et Wittgenstein (Elijah Wood, étudiant scientiste au dernier degré, et son mentor/idole John Hurt traquent un tueur en série féru de casse-têtes mathématiques) n’inspire pas vraiment De La Iglesia, qui fixe sur pellicule l’enquête pure et les enjeux intellectuels qu’elle soulève avec une neutralité aussi improductive qu’inhabituelle chez lui. Quelques saillies stylistiques (tel ce plan-séquence sur la vie d’Oxford précédant la découverte du premier cadavre) sonnent moins comme une expression cinématographique nécessaire que comme des embardées rebelles assez futiles face à l’engourdissement dont est victime un cinéaste semble-t-il égaré loin de son terrain de prédilection, impuissant à s’approprier pleinement un genre a priori peu propice au travail qu’il affectionne : peinture mordante mais sans mépris de la médiocrité humaine, gestes d’amour au cinéma de genre.
« Prendre son envol »
Si Crimes à Oxford échappe au naufrage malgré tout, c’est parce que De La Iglesia, devant ce matériau dont il semble parfois ne pas trop savoir quoi faire, choisit de s’investir dans la part la plus intimiste du récit, détournant ainsi la sécheresse des péripéties de détectives. Il s’attache la majeure partie du temps aux pas du héros — incarné par un Wood un peu atone — étudiant exalté pensant le monde régi par une raison pure qu’on pourrait mettre en équations. Personnage aux contours a priori désincarnés jusqu’à l’absurde telle une caricature de Sherlock Holmes, et auquel il est certes difficile de s’identifier, mais qui trouve mine de rien une résonance dans le réel par les lacunes de son rapport au monde. Objet de désirs dont il est à peine conscient, lui-même sujet d’une lutte intérieure entre des attirances bien humaines et des aspirations abstraites à l’extrême (lesquelles se confondent néanmoins avec son attachement quasi magnétique à son mentor trouble et manipulateur), la destinée sentimentale de ce personnage, au-delà de la piste évidente de l’ambiguïté des rapports maître/élève, prend vite autant d’importance que la résolution des mystères. Dans l’expression de ces aléas personnels (rapports avec les femmes, rapport avec le professeur, rapport avec la réalité), le film trouve une raison d’être autrement plus intéressante que sa dissertation sur la logique en criminologie, et on croit même entrevoir un soupçon de la fantaisie et de la verve du De La Iglesia qu’on connaît. C’est d’ailleurs sur ce mode intimiste que le cinéaste, par ailleurs plus fin qu’il ne le laisse souvent paraître, emporte le morceau dans les dernières minutes — une résolution classique de whodunit, qu’il teinte en quelques plans d’une noirceur subtile en en faisant, contre toute attente, le parachèvement d’un échec total : celui du héros à prendre son envol, à se libérer de ses entraves intérieures, à échapper aux coups intimes et à l’asservissement auxquels son manque d’emprise sur le réel l’exposait.
Crimes à Oxford n’est donc pas nécessairement le signal du déclin pour le réalisateur du Crime farpait, mais marque clairement une limite à l’expansion du cinéma qu’on lui connaît. Obstacle pas forcément insurmontable, mais face auquel il devrait soit se chercher une voie de renouvellement, soit se replier plus sûrement vers ses acquis.