« Un crime farpait, c’est nul ! » Autodérision, référence, métadiscours, la réplique de Rafael quand il voit la coquille dans le titre de la vidéo qu’il est en train d’acheter est révélatrice du film tout entier, qui relate la déchéance d’un homme qui se croyait sans faille.
Ambitieux, élégant, surdoué et séducteur, Rafael est le super-héros du rayon mode féminine. Refusant la normalité et méprisant ceux qui s’y résignent, il règne dans le monde parfait du grand magasin où il est né. Il teste les coquettes chambres d’exposition avec de pulpeuses vendeuses, écoule une fourrure à 12 000 euros en huit minutes un jour de soldes, et va bientôt atteindre le but de sa vie : devenir Responsable de son étage. Seule ombre aux néons de sa glorieuse destinée, Don Antonio, son rival du rayon hommes, qu’il tue accidentellement dans une cabine d’essayage. Lourdes, la seule vendeuse laide du centre, est l’unique témoin de cette dispute fatale, et y voit le moyen de réaliser son rêve secret : se marier avec un homme beau et riche. Son cynique chantage sexuel entraîne Rafael dans un abîme de médiocrité. Pour échapper à la folie qui le tourmente, il décide de se débarrasser de Lourdes, intentionnellement cette fois.
En introduisant une erreur typographique dans son titre, Álex de la Iglesia donne le ton : son septième opus est déroutant, décalé, parodique. En trois mots, il contre notre réflexe naturel de corriger la faute, marque une distance comique et fait écho à un classique du cinéma. Qui l’eût cru ? C’est la saison de la finesse.
Rassurons-nous, depuis le très gore et très iconoclaste Jour de la Bête en 1997, le réalisateur ne s’est pas transformé en ange. Il affectionne toujours les bonnes giclées de sang (« le secret, c’est de bien décoller les tendons », apprend Lourdes à Rafael), les corps démembrés, les têtes verdâtres de revenants… Il garde un penchant pour les fins à grand spectacle, scènes d’action au cœur de l’Apocalypse, dans un décor saturé de flammes et d’eau, où l’apparition de Bruce Willis en sauveur du monde serait évidente. Cette fois, comme nous sommes dans l’univers du chic et du glamour, il s’essaie au feuilleton à l’eau de rose mais coquin. Dans un procédé facile mais efficace, des créatures de rêve, lèvres glossées seins prisonniers, se déhanchent dans la fraîcheur du ventilateur et dévisagent lascivement la caméra.
Mais la nouveauté est la narration à la première personne. Dès le monologue inaugural de Rafael face caméra, le spectateur est plongé dans la psychologie d’un personnage, qui évolue tout le long du film du complexe de supériorité, à l’angoisse, la schizophrénie et la folie. Outre la virtuosité de quelques plans (en particuliers ceux, cauchemardesques, où tout le décor tourne autour du visage de Rafael, fixe en gros plan), la subjectivité permet d’introduire le burlesque, au sens premier, c’est-à-dire un langage sublime appliqué à des choses triviales. Ainsi, Rafael appelle Lourdes son « Destin Funeste », car il découvre à travers elle que « l’Enfer existe et que le Diable est petit et moche et qu’il porte une gaine et un soutien-gorge couleur crème ». La collision des termes est bien sûr irrésistible.
Avec un sens aigu du détail, Álex de la Iglesia construit un monde absurde où le père de Lourdes s’endort à table sans que cela n’étonne personne, tendre où le kitsch est roi avec « toutes les collections qu’on voit à la télé » (merveilleuses petites cuillères d’antan, clowns tristes du monde et dérivés), féroce où la mère de Lourdes se cure les dents avec sa croix en pendentif, troublant où le commissaire (excellent Enrique Villén) regarde constamment juste à côté de son interlocuteur…
Sous des airs balourds et décapants, Le Crime farpait est donc fait de dentelle. À l’instar des trois Torrente de Santiago Segura, à l’opposé d’un certain Brice français monolithique et premier degré, il appartient à la vague des comédies espagnoles populaires, mordantes, salutaires.