24 interviews en une après-midi ! C’est un Álex de la Iglesia harassé, mais souriant – et relax dans son t‑shirt aux couleurs du Cynoque des Goonies ! – qui nous a accueillis. Quelques mots avec le réalisateur très gentil de films très méchants.
La structure de Balada Triste est celle du film de super-héros : trauma enfantin, construction de l’identité alternative, développement de pouvoirs… Est-ce intentionnel ?
AdlI – Totalement. C’est comme si le personnage de Carlos, celui qui interprète Javier, se transformait en Joker, et comme si Sergio se transformait en monstre de Frankenstein. Le critique américain Harry Knowles, du site Ain’t It Cool News, me disait que la fin de mon film rappelle celle de Spider-Man, lorsqu’il perd sa copine, ce qui se passait en haut d’un pont – c’est effectivement une scène qui m’a marqué, c’est une sorte de référence.
L’image la plus forte du film, et peut-être l’une des plus fortes de votre filmographie, est celle de Franco mordu violemment par le personnage principal. C’est à la fois très fort, très grotesque, très politique, d’autant que l’époque dépeinte est très proche, historiquement, de votre propre histoire…
C’est une vengeance ! Cette scène, c’est une scène de terreur rurale. C’est comme dans ce film, Furtivos , qui est aussi une vengeance sur le franquisme, via les scènes de chasse, parce que Franco aimait beaucoup chasser. Ce que j’adore dans cette scène, Franco semble bon, même adorable. C’est quelqu’un qui était capable de faire fusiller 4.000 personnes après avoir mangé, mais il défend un pauvre type face au colonel hargneux. Il dit au colonel (alors que celui-ci traite le personnage principal comme un chien de chasse, NDLR) : « ce n’est pas chrétien, ce que tu fais là, de traiter quelqu’un comme ça, de l’humilier à ce point. » Donc voilà, il parait bon, et tout à coup… Je voulais casser cette image-là.
Vous êtes couvert de prix en Espagne, avec notamment des Goyas à la pelle. Pourquoi, selon vous, l’Espagne est plus réceptive à votre talent, qu’elle vous reconnaît à votre juste valeur, tandis que, par exemple, en France, vous êtes plus un cinéaste réservé à un public de fans ?
Je ne sais pas trop pourquoi. Je crois que mes sujets tombent souvent bien, que je plais aux gens là-bas – je perçois bien la façon qu’ont les gens de voir la vie. Cette connexion-là fait que le public est au rendez-vous. En même temps, ce n’est pas automatique. Souvent, je trouve – d’après ce que je lis dans les critiques – qu’on comprend mieux mes films en France, ou à l’étranger.
Et puis ça dépend : pour Balada Triste, j’ai reçu deux prix à Venise, tandis que j’étais nominé aux Goya 14 fois, et je n’en ai reçu que deux ! Donc, ce n’est pas automatique…
Dans le cinéma fantastique, la figure du monstre (la créature de Frankenstein, Edward dans Edward aux mains d’argent, le fantôme de l’opéra…) est une figure souvent positive, de victime. C’est aussi une figure très présente dans votre filmographie – Balada Triste, c’est un peu le film où toute votre réflexion sur le monstre aboutit.
J’aime beaucoup le cinéma muet de l’Universal, avec les films de Lon Chaney, surtout. C’est pour ça que j’aime que le monstre soit le protagoniste, et que les méchants soient les gens normaux. C’est un cinéma très libérateur, qui se place du point de vue de la personne qui souffre le plus. On s’identifie mieux à un personnage qui souffre, qui ne trouve pas sa place dans la vie, dans le monde, c’est gratifiant. Ça nous rend plus heureux, parce qu’on a l’impression de quelqu’un qui vit un petit peu ce qu’on vit, nous aussi. Alors que les films de vainqueurs, comme James Bond par exemple, qui gagne toujours à la fin, c’est peut-être divertissant, mais ça n’est pas émouvant, ça ne nous touche pas.
J’ai commencé à aimer le cinéma grâce à la collection de photos de monstres de Famous Monsters of Filmland, de Forest J. Ackerman. Je me rappelle que, dans cette revue, il y avait toujours un encart de bande dessinée. Je me souviens surtout d’une BD sur un Père Noël assassin – ça m’a terrorisé, mais ça me fascine. C’est ce genre de référence qui forme mon univers, aujourd’hui encore.
Le générique est remarquable, avec sa juxtaposition d’images, il est d’une très grande violence, d’une très grande efficacité aussi. De plus, à chaque fois qu’apparaît un nom de l’équipe au générique, on entend les rires des enfants dans le public. Est-ce que vous nous dites que, finalement, tout ça n’est pas très sérieux ?
(rires) C’est une blague à l’intention des producteurs. On voit beaucoup ce genre de générique, surtout en Espagne : les logos du ministère de la Culture, des producteurs, de l’ami du producteur, de la copine du producteur… De tout ceux qui ont mis de l’argent. Et donc ça fait des génériques de début qui sont interminables, parce qu’il y a toujours beaucoup de gens qui ont financé le film. Au bout d’un moment, ça fait rire les gens dans les salles, tellement ça devient long et répétitif. J’ai donc placé les rires des enfants à l’apparition de chaque nom d’une personne de la production.
C’est aussi une pique à l’intention de ces producteurs, parce que ça n’a pas été facile de produire Balada Triste !
Alors, pour finir, une question vraiment importante… Pourquoi est-ce que vous avez utilisé « Je l’aime à mourir », chantée par Cabrel en espagnol, dans votre film ?
(rires) Ah ! On ne me l’a pas encore posée, celle-là !
C’est parce que cette chanson me fascinait quand j’étais petit. Je suis tombé amoureux d’une femme que je ne connaissais pas en entendant cette chanson… et maintenant, je la connais, ça y est.