De quoi Dalida, le film est-il le nom ? De son titre-programme, qui à l’instar d’une biographie écrite semble vouloir contenir la personnalité toute entière d’une figure publique dont on brûlerait de connaître l’envers, le nouveau long métrage de Lisa Azuelos (la réalisatrice de LOL) propose une application littérale : de la petite enfance à la mort de la star, le biopic va donc tenter de nous raconter tout, tout, tout ce qu’il faudrait savoir. Le résultat illustre une fois de plus, comme nombre de ses prédécesseurs (de La Môme à Cloclo), l’échec d’une entreprise qui ne tente ni la déconstruction par l’abstraction (voir l’ambitieux mais inégal I’m Not There, de Todd Haynes), ni la révélation par le truchement d’un moment précis de la vie de la personnalité en question (le Coluche d’Antoine de Caunes, peut-être le plus injustement méconnu du lot). Dalida illustrée par Lisa Azuelos et validée par le frangin Orlando ressemble à une attraction du musée Grévin, si celui-ci proposait de déterrer les morts pour livrer en pâture à son public un spectacle clinquant et grotesque sous forme de best-of aux relents nauséabonds.
Frontalité de l’indécence
De son vrai nom Iolanda Cristina Gigliotti, Dalida devint une véritable icône de son vivant. Chanteuse populaire s’il en est, la star essaya tout au long de sa carrière de se construire sur des paradoxes et des complémentarités, en réunissant toutes ses cultures (égyptienne, italienne, française), ses centres d’intérêt (le chant, la psychanalyse, le cinéma, notamment) et sa poursuite aussi effrénée que tragique de l’amour absolu (trois des cinq hommes de sa vie se sont suicidés). On fait difficilement destin plus romanesque que celui de Dalida, idole absolue comme on n’en fait presque plus, capable de faire se rencontrer des mondes a priori imperméables sans aucune autre forme de calcul que la volonté de se donner toute entière, sans presque aucun filtre, à son public. La vie n’aura pas épargné Dalida, on le sait, et le film de Lisa Azuelos nous le rappelle sans cesse. Sa fascination morbide pour la mise en scène outrancière de la mort qui a jalonné le destin de la chanteuse n’est pas la moindre de ses tares. Le sang qui gicle sur le mur après que Lucien Morisse (Jean-Paul Rouve) se soit tiré une balle dans la tête, le suicide sanguinolent de l’amant italien incompris, Luigi Tenco (Alessandro Borghi)… jusqu’à la reconstitution interminable et complaisante de la mort de la chanteuse, qui amplifie le son de son dernier souffle : tout est sur-ligné, sur-signifié, sur-interprété, pour atteindre une forme d’écœurement. Vous vouliez voir ? On va vous en montrer pour votre argent, et tant pis pour la décence (on ne parlera même pas de cinéma, il n’y a pas le début d’une idée de mise en scène dans ce festival de mauvais goût).
D’une personnalité complexe qui souhaitait ardemment incarner une certaine idée de l’engagement (elle a soutenu Mitterrand en 1981 sans se soucier des risques d’impopularité que cela pouvait lui causer et a donné une interview sur Fréquence Gay à une époque où le soutien de la cause homosexuelle était un acte éminemment politique), Lisa Azuelos n’a strictement rien conservé, évacuant totalement les sujets les plus potentiellement polémiques. Pire : le discours sous-jacent du film porte sur les rêves de « normalité » d’une Dalida qui n’aurait aspiré à rien d’autre qu’une vie rangée d’épouse et de mère. On pourra s’étonner également du quasi-mutisme du film sur la communauté gay qui entourait la chanteuse, réduite ici à des silhouettes à peine esquissées, comme le personnage d’Orlando.
Cinéma bulldozer
Mais, allez, puisque Dalida nous a autant ému aux larmes que fait danser jusqu’au bout de la nuit avec ses chansons, n’oublions pas de reprendre ses tubes, aussi ! Le film de Lisa Azuelos n’oublie pas d’être un long clip karaoké de plus de deux heures, compilant les hits de la vedette les uns après les autres et s’autorisant quelques raccourcis au passage. Ah, ce plan sur Dalida qui voit s’éloigner son jeune amant italien dans la neige, sur les notes d’«Il venait d’avoir 18 ans»… Oh, ce mini-clip bricolé à la va-vite de la chanteuse se trémoussant au soleil sur le si exotique « Salma ya salama»… Pour les cinéphiles curieux, la rencontre de Dalida avec le réalisateur Youssef Chahine sur le tournage du Sixième jour n’est ici que prétexte à rejouer la partition de la nostalgie de Iolanda pour une enfance contrastée. Il ne sera donc jamais question de cinéma dans Dalida, ni sur le fond, ni sur la forme.
Dans cette débauche de vulgarité, reconnaissons à Sveva Alviti, qui interprète la star, la volonté de faire exister la femme au-delà de l’icône. Mais la pauvre actrice a beau faire preuve d’une belle abnégation, elle se heurte sans cesse aux limites d’un scénario grossier et d’un montage malhabile. Prenons la passion de Dalida pour la psychanalyse : elle est ici réduite à une poignée de plans fugaces qui la montrent allongée sur son lit, l’air soucieux, concentrée sur la lecture de deux ou trois essais. Hop, à peine le temps d’évoquer le sujet, il est temps pour Lisa Azuelos d’embrayer sur le tube d’après. Dalida, le film déroule son programme millimétré jusqu’au bout, sans s’embarrasser de subtilités ni de précautions. On en ressort avec la désagréable impression, une fois de plus, d’avoir assisté à un vilain concours de grimaces dont les perdants sont dans la salle.