Opérateur de deux franchises comiques au rire quelque peu défraîchi (la série des Austin Powers et celle de Mon beau-père et moi), Jay Roach a entamé, ces dernières années, une reconversion vers la fiction politique moins soucieuse de rupture que de respectabilité. Deux productions HBO, Recount, qui revisitait l’épisode du recompte des voix de l’élection Bush-Gore de 2000, puis Game Change, état des lieux de la turbulente campagne McCain-Palin de 2008, avaient donné le ton de ce cinéma sans désir, phagocyté par ses acteurs et ancré à gauche du parti. Après ce tournant pris par sa filmographie, Roach paraissait donc tout désigné pour hériter du biopic de Dalton Trumbo, communiste impénitent et victime expiatoire du maccarthysme à Hollywood, scénariste réputé et réalisateur d’une œuvre unique, Johnny s’en va-t’en guerre, au culte incompréhensible. De ce troc de la farce contre le prestige, rien de bien glorieux ne subsiste à l’arrivée, encore que le film mette à nu une idée terminale de l’académisme.
Le communisme expliqué aux enfants
Signé John McNamara, le script de Dalton Trumbo ploie sous un manque d’imagination qui redonne un lustre soudain au récent Avé César ! et à sa vision carnavalesque de la guerre froide. D’une linéarité qui ne souffre aucun écart de conduite, la narration accumule en chemin détails et anecdotes redondants sur un homme dont la complexité se dérobe à mesure que son portrait se précise. Ayant de toute évidence du mal à se recaser depuis la fin de Breaking Bad, Bryan Cranston tente désespérément d’injecter un peu d’ambiguïté à ce rôle ; en vain : même en workaholic irascible beuglant sur ses gosses, il continue de passer pour le sympathique patriarche débonnaire qu’il était avant l’ouverture de la chasse aux sorcières – la faute, aussi, à un jeu binaire digne d’un looney tune.
Endimanchée dans ses reconstitutions d’époque, la mise en scène brosse personnages et situations dans le sens des attentes supposées du spectateur. Mais lequel ? D’un côté, Trumbo s’adresse manifestement à un public adulte et bien-pensant, dont il flatte outrageusement la sensibilité démocrate en usant d’un manichéisme digne de la propagande qu’il prétend dénoncer. De l’autre, il passe son temps à l’infantiliser en se prêtant à d’insupportables mièvreries, à l’image de cette scène au cours de laquelle Trumbo explique le communisme à sa fillette, parabole à l’appui (« Maman te prépare ton déjeuner favori. Et à l’école, tu vois quelqu’un qui n’a rien à manger. Que fais-tu ? »). Tout le geste de cinéaste de Jay Roach deuxième période tient dans ce didactisme : à partir de là, le film n’est qu’une succession de chromos simplifiant à l’extrême ses enjeux, et, faut-il le souligner au passage, éclairés comme un roman-photo en costumes. Que les aspirants scénaristes se rassurent toutefois : ce digest sans peine leur apprendra qu’écrire se résume à faire crépiter une Remington dans son bain, porte-cigarette aux lèvres et whisky à portée de main ; le reste viendra bien à qui sait attendre.
L’académisme des buses
Dalton Trumbo, c’est le maccarthysme expliqué aux enfants. Mais un enfant qui aurait les traits sénescents d’un juré de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences. Voilà donc le cœur de cible de ce cinéma épris de statuettes : un vieillard en culotte courtes susceptible de lui décerner un Oscar. Pas de bol, nominé partout, le film n’a gagné nulle part, si ce n’est au Festival de Palm Springs, une municipalité « rouge » bien connue de la Commission des activités anti-américaines. Pas découragés, Roach et Cranston remettent le couvert le mois prochain pour All the Way, qui passera cette fois-ci à la loupe les débuts douloureux de la présidence Lyndon B. Johnson, marquée par de violentes émeutes raciales et les efforts du successeur de Kennedy pour faire adopter les lois sur les droits civiques. Les grands sujets n’intimident décidément pas notre duo perdant. Parions sans trop de risques qu’il saura nous offrir un nouvel abrégé, d’histoire et de cinéma.