Le réalisateur de Millenium nous revient avec un épais et surprenant nanar : surprenant pas tant parce qu’il égaye son spectateur que par la composition de son casting international. Ça fait du (beau) monde sur le carreau…
Que Niels Arden Oplev, qui avait dirigé une adaptation solide (bien que sans génie et ouvrant un boulevard à David Fincher) du best-seller de Stieg Larsson, ait pu entraîner avec lui sa Lisbeth (Noomi Rapace), on le comprend aisément. Que Colin Farrell, pourtant capable du meilleur, ait une nouvelle fois opéré un mauvais choix de carrière n’est pas une franche surprise, quelques mois après Total Recall (pour le gros chèque duquel il avait délaissé Cosmopolis et Cronenberg). Qu’Isabelle Huppert, qui n’est pas Depardieu pour courir le cachet, se soit laissée embarquer dans cette galère avec le rôle anecdotique d’une maman française tendrement farfelue, là réside la véritable énigme de ce Dead Man Down, film de vengeance cousu de fil blanc, tissé de pesants dialogues et de clichés, tressé d’archétypes navrants, de rebondissements éventés, de tourments hyperboliques, tapissé de fusillades assourdissantes – la bande son, sans parler de la musique, n’est pas loin de nécessiter la prise d’antalgiques. On portera au crédit du film une sincère envie de nous en donner pour notre argent, côté spectacle, à défaut de renouveler le genre ou de faire passer la pilule.
Soit une jolie et inconsolable balafrée cherchant vengeance et un malfrat au lourd secret, mûrissant lui aussi depuis des mois un sévère châtiment aux bad guys pour lesquels il travaille, aréopage de gangsters new-yorkais pas trop ennuyés par la flicaille, en cheville avec une clique d’Albanais mal rasés et bien patibulaires – bref, albanais. La première, Noomi Rapace, pleure ses menues scarifications faciales et se fait régulièrement lapider par une horde de gosses persécuteurs littéralement impossibles, histoire de nous faire croire qu’elle est un monstre aux yeux du monde – c’est pourtant pas le fantôme de l’opéra. Le second est donc un tueur, que la jeune fille décide de faire chanter (au cours d’une scène un brin exaltée et moyennement crédible) pour qu’il accomplisse sa vengeance à elle. Les deux grands traumatisés nouent au passage la prévisible et salvatrice romance que leurs intérêts n’ont pu dénouer, et qu’on s’efforce de nous faire avaler à grand renfort de regards égarés, de silences et de gestes nerveux.
Ceci n’est pas un spoiler, puisque le film renonce assez vite à laisser courir le suspense sur ce point : notre tueur est en réalité un Hongrois, Laszlo, dissimulé sous le blase de Victor (Victor Laszlo… improbable référence), aimable ingénieur dont la famille s’est fait trucider deux ans plus tôt (d’où la vengeance), mué depuis en Jason Bourne du pauvre, one man army lancé tel un machiavélique frelon vers un final pas loin du risible en termes de cohérence, et de l’hystérie en termes de mise en scène. Chose amusante, le scrupuleux scénariste du film se donne un peu plus tôt la peine de justifier les invraisemblances du personnage : mais si vous êtes étranger, qu’est-il advenu de votre accent ? demande Noomi à son vengeur magyar, exprimant au passage ce genre d’interrogation que le spectateur bonasse consent d’habitude à laisser dans l’ombre (et en suscitant une autre : Wall Street Institute ?). Je m’efforce de le dissimuler, répond, sans rire et sans une amorce d’articulation finno-ougrienne, l’Irlandais Farrell. Quelques minutes plus tard, devant l’impressionnante armurerie du monsieur, la belle remet ça : mais d’où tenez-vous cet art de la guerre et cette maîtrise du close combat ? Réplique, toujours imperturbable, de l’intéressé : j’ai fait mon service – on ne lésine pas sur l’entraînement des bidasses en Hongrie, visiblement. À ce stade de maladresse, on peut presque parler d’aveu de désespoir de l’auteur, geste qui l’honore à défaut de le secourir ; et l’on se rappelle pourquoi nombre de ses confrères pas plus inspirés ou doués préfèrent claudiquer placidement avec quelques cailloux dans la chaussure. Passons, il est toujours injuste de s’acharner sur un échec qui ne prête pas à conséquence, et l’on ne peut pas vouloir de mal à ces acteurs (ajoutons Terrence Howard, Dominic Cooper ou Frank Murray Abraham, en adjuvant/parent hongrois fatalement lié au milieu), même ceux qui se fourvoient avec constance.
Le plus gênant, de fait, c’est que Dead Man Down n’est pas même bâclé, et que tout ce petit monde s’efforce d’insuffler une vitalité à l’ensemble, de composer une atmosphère, réalisateur compris, lequel tâche de maintenir via les scènes d’action et leurs brutales chorégraphies un semblant de tempo, sans abdiquer une progression dramatique relativement construite. Ce n’est pas tant qu’on s’ennuie ou se désespère, donc, mais il ne résulte de ces efforts qu’un film de commande irrémédiablement nul, grossièrement écrit et filmé, couronné d’un final idiot sous l’eau. Down, vraiment.