Bide colossal aux États-Unis, Total Recall aurait souffert, dit-on, de la concurrence avec The Dark Knight Rises. Gageons que le super-méga-turbo-blockbuster surcommuniqué de Christopher Nolan n’est pas étranger au flop retentissant du nouveau Len Wiseman. Mais il n’est pas seul coupable : remake schizophrène, régurgitant sans temps morts une flopée de références, Total Recall manque cruellement de cohérence et, pour tout dire, d’intérêt.
On reproche souvent à Neil Marshall, le bouillant réalisateur de Doomsday et Centurion, de centrer son cinéma autour de ses références avec la fougue d’un jouisseur sans retenue – le reproche est valide, mais à voir le rapport de Len Wiseman à ses propres références, on saisit combien le talent, brouillon mais réel chez Marshall, fait toute la différence. Pour Wiseman, Total Recall semble être l’opportunité de cligner de l’œil en direction des ténors de la science-fiction, Blade Runner en tête, mais aussi Star Wars, 2001, l’odyssée de l’espace, voire Le Cinquième Élément. Mais la principale référence de Len Wiseman, c’est avant tout Total Recall lui-même, l’original de Paul Verhoeven, en 1990.
Que cela soit bien clair : la démarche de Len Wiseman diffère profondément de celle d’un remaker habituel, même le plus anonyme et servile d’entre tous : le réalisateur fait mine de reprendre les phrases chocs et séquences cultes de l’original, tout en les décalant suffisamment pour renouveler son matériau. Si la réactualisation visuelle du film passe, de prime abord, plutôt bien – le budget, 125 millions de dollars, se fait puissamment sentir, et l’univers géopolitique resitué sur Terre est convaincant –, ces références alternatives, détournées, finissent vite par parasiter le film : qu’on prenne ainsi en exemple la scène du piano, citation directe d’une séquence onirique centrale de Blade Runner, ici travestie avec lourdeur. Le pire se fait sentir lorsque les références sont issues de l’original : le passage de la douane et les « deux semaines », les bras tranchés par l’ascenseur, le doute qui est censé pénétrer tout le film sont autant de clins d’œil dont le détournement est d’une terrible vacuité. C’est surtout le traitement du doute qui fâche : à force de vouloir faire preuve d’astuce dans sa gestion des références, Wiseman va oublier d’assurer l’étanchéité de son récit paranoïaque. Le doute sur la réalité des perceptions du héros (qu’est-ce qui est réel ? N’est-il pas en train de vivre son rêve programmé chez Rekall?), pourtant central dans la version de Verhoeven, semble accessoire – et avec lui l’intégrité du récit.
Len Wiseman préfère ainsi centrer son film sur une succession étourdissante de scènes d’action. Le plus souvent interminables, elles permettent cependant au réalisateur de canaliser sa mise en scène. Pour les séquences plus « calmes », comme dans le récent Prometheus, le film se sert des moyens techniques de pointe pour créer un environnement global riche, hélas au détriment d’une utilisation réelle de ses décors plus resserrés, comme s’il suffisait que les images soient belles pour que l’on n’ait pas besoin de réfléchir sa position dans l’espace. En plans plus rapprochés, la caméra de Wiseman devient hystérique, incapable de se fixer, de refréner une propension répétitive aux zooms brutaux en deux temps et aux panoramiques tournants. Par opposition, les scènes d’action paraissent donc l’œuvre d’une autre personne, un peu plus au fait de la meilleure façon d’assurer la lisibilité de l’action.
Total Recall confirme ainsi, après Die Hard 4 et les premiers Underworld, le statut de faiseur brouillon de Len Wiseman. Comme dans la saga vampirique, l’idée de départ prend le pas sur l’exécution esthétique – avec en guise de bonus, une kyrielle de clins d’œil se voulant malins. Horriblement mal intégrées, ces références omniprésentes soulignent surtout l’artificialité de ce qui n’est plus qu’un film d’action sans nuance ni style – le contraire parfait de ce qu’il convient de faire en mettant en scène un remake, puisqu’il multiplie sciemment les appels appuyés à son modèle, sans jamais parvenir ne serait-ce qu’à l’égaler.