Depuis des semaines, la promotion du film tourne autour de cette notion mystérieuse qu’est le déjà-vu, dont voici la définition : « impression intense d’avoir déjà vécu la situation actuelle dans le passé, avec la même tonalité affective ». C’est l’agent Doug Carlin, interprété par Denzel Washington, qui va en faire ici l’expérience. Pour les besoins d’une enquête sur l’explosion d’un ferry et le meurtre d’une femme, Carlin va en effet expérimenter une fenêtre temporelle, qui permet d’observer des événements qui se sont déroulés quatre jours, six heures et quelques minutes avant le moment présent. Vous êtes déjà perdus ? Alors accrochez-vous, car ce n’est rien à côté du film !
À la lecture du titre, on aurait pu s’attendre à ce que le héros soit en proie à des sentiments de déjà-vu, comme des sortes de flashs qui attireraient son attention sur des éléments importants pouvant l’aider dans son enquête. Mais Scott et Bruckheimer (le producteur du film) ont plutôt sorti l’artillerie lourde : une histoire de fenêtre temporelle ouverte sur le passé et permettant de revisionner les événements, afin de pouvoir influer sur leurs cours. Difficile d’adhérer à un scénario se targuant de « faire intervenir des concepts à la pointe de la physique moderne ».
Le film commence comme un thriller classique : des centaines de personnes embarquent sur un ferry, qui explose juste après le départ. La patte Bruckheimer est alors bien présente, si bien que, en voyant Carlin recueillir des traces d’explosif sous un pont, l’on se croirait presque dans un épisode des Experts. L’intrigue devient intéressante lorsqu’une jeune femme est retrouvée morte près du lieu de l’explosion. Il s’avère qu’elle a été tuée avant l’explosion et qu’on a voulu faire croire qu’elle faisait partie des victimes. « Trouvez l’assassin de cette femme, vous trouverez le terroriste », lance Carlin.
C’est alors que tout dérape et que le film s’engage dans ses théories de voyage spatio-temporel. Dans un labo du FBI, Carlin et d’autres enquêteurs peuvent choisir un endroit et aller voir ce qui s’y est déroulé quatre jours auparavant. Point n’est besoin d’entrer dans les détails des théories développées par le film. Le tout est si complexe que l’on soupçonne ici et là des incohérences, sans pouvoir les justifier. Comment se fait-il, par exemple, que la machine ait bien du mal à envoyer une feuille de papier dans le passé, alors qu’elle éprouve moins de difficultés à y envoyer l’agent Carlin ? Telle la sensation de déjà-vu, le soupçon d’incohérence qui plane sur le film restera un grand mystère et aura au moins le mérite de nourrir de grandes discussions animées entre amis.
Reste que ces théories permettent à Tony Scott de proposer une mise en scène qui ravira les amateurs de films d’action. À retenir, pour être tout à fait honnête, une course-poursuite en voiture, opposant Carlin au terroriste. Carlin est dans le présent et poursuit, grâce à un casque spécial, le terroriste qui, lui, est dans le passé (quand on vous disait, que c’était compliqué !). D’un œil, Carlin doit donc suivre la voiture du terroriste (dans le passé) et de l’autre, éviter les voitures qui se trouvent sur son passage (pour de vrai et dans le présent). Passage relativement haletant et curieux d’un point de vue visuel.
Dans tout cet imbroglio, heureusement que le personnage de Denzel Washington est là pour adopter le point de vue du spectateur : « Je ne comprends pas, que se passe-t-il ? », « Expliquez-moi ce que c’est que cette machine, bon sang ! », lance-t-il aux scientifiques qui lui cachent d’abord la vraie nature du procédé puis l’assomment – et nous avec – d’explications scientifiques pour le moins difficiles à encaisser. Au niveau du jeu d’acteur, on a connu mieux de la part de Denzel Washington. Il faut dire que ce dernier n’est pas très aidé par la mise en scène, notamment une arrivée de star comme on n’en fait plus, avec plan rapproché dès qu’il arrive et sortie de la voiture au ralenti.
Quant à l’histoire d’amour que le réalisateur essaie de nous faire avaler, elle est bien inutile. Notons toutefois que La Nouvelle-Orléans apporte au film une atmosphère tout à fait particulière. L’ouragan Katrina avait retardé et même compromis le tournage, qui s’est quand même déroulé là-bas. Les rues sinistrées, l’allusion, après l’attentat, à un État qui a déjà beaucoup souffert et la dédicace finale au courage et à la force des habitants de La Nouvelle-Orléans ne sont pas inintéressantes.
Finalement, Déjà vu se laisse suivre sans trop de déplaisir, mais au prix d’une trituration des méninges peu commune. Le film n’est cependant rien de plus qu’un pur produit de divertissement destiné à attirer les foules. Étrange, ce sentiment de déjà-vu…