Tony Scott s’est pris de passion pour les rails. Après le médiocre L’Attaque du métro 123, il nous livre un film catastrophe mettant en scène un train à la dérive. Malgré quelques idées formelles intéressantes et une narration plutôt solide, Unstoppable demeure infiniment vain et superficiel. S’il se laisse regarder sans déplaisir, il n’est qu’un pop-corn movie de plus dans la filmographie chaotique de son auteur.
Tony Scott semble être le double maléfique de Ridley : totalement décomplexé, il n’a jamais revêtu le costume de l’auteur qu’il n’est pas. Contrairement à son frère, cherchant davantage la reconnaissance critique, il s’évertue depuis longtemps à réaliser un cinéma de pur divertissement, qui lui permet de s’adonner sans retenue à son péché mignon : le maniérisme à outrance. Si chez quelques stylistes de talent comme Michael Mann, Johnnie To ou Wong Kar-wai, les expérimentations formelles produisent du sens, chez Tony Scott, elles se résument souvent à une esthétique du vide : derrière les folies visuelles, se cache une mécanique filmique implacable, emplit d’archétypes ; ses œuvres relèvent d’une sorte d’inconscient collectif, peuplé de séquences, de rebondissements et de personnages déjà vus. Le spectateur est maintenu au chaud dans un cocon cinématographique protecteur. Le travail incessant de Scott sur les formes peut fasciner, car il s’apparente à l’évolution des images contemporaines influencées par des clips de plus en plus perfectionnés, le style YouTube, le jeu vidéo ou encore les films tournés à l’aide de mobiles. On pourrait chercher à le théoriser – pour les plus masochistes –, ce dont Scott ne semble pas être conscient lorsqu’il filme. Mais, si l’on gratte un peu la belle peinture des rutilantes machines du réalisateur, il ne reste pas grand-chose : un cinéma d’action très classique, qui prend une dimension apparemment moderne et tendance par son exubérance formelle. Le récit d’Unstoppable repose ainsi sur des fondements scénaristiques connus : il narre l’histoire d’un conducteur de train proche de la retraite (Denzel Washington) et d’un jeune ingénieur ferroviaire (joué par Chris Pine, la nouvelle belle gueule d’Hollywood), essayant de stopper un train rempli de produits toxiques à même de faire exploser une ville entière. Les deux compagnons d’infortune connaissent leurs moments de gloire, dans la grande tradition américaine du personnage lambda devenant un héros national. Rien de très nouveau.
Avouons qu’il est possible de ressentir un plaisir coupable – ou du plaisir tout court, selon son humeur − en visionnant cette œuvre. Grâce à son savoir-faire, Scott arrive à insuffler un rythme ininterrompu dans sa narration. Il transforme des scènes anodines en blocs de suspense très efficaces et use de plusieurs ressorts scénaristiques habiles pour empêcher les temps faibles. Point intéressant : son film catastrophe se mue progressivement en film de monstre. Le train fou prend un aspect quasi-organique, avec un jeu intéressant sur les sonorités à la fois sourdes et stridentes de la machinerie animant la bête d’acier. Scott émet également quelques ébauches d’idées sur l’héroïsme dans une Amérique contemporaine en crise : les catégories les plus basses de la population réussissent à faire éviter la catastrophe annoncée, les dirigeants et héros fraichement revenus d’Irak échouant lamentablement. Discours qui, s’y on retrouve ses esprits au sein du maelström d’images présentées, sent le populisme à plein nez.
Comme tout plaisir coupable, celui provoqué par cette production est éphémère et vain. Le pop-corn movie de Scott demeure peu original et daté par sa volonté de nous resservir les mécanismes des films d’action des années 1980 (Unstoppable ressemble à un énième avatar du genre buddy-movie). Malgré les qualités de cette œuvre, la banalité du récit et le maniérisme cache-misère de Scott ne font pas longtemps illusion. Si l’on peut reconnaître au cinéaste une certaine honnêteté dans son travail, celui-ci réalisant ce qu’il sait faire de mieux, son art de l’esbroufe apparait finalement très futile et surtout très paresseux.