Les amoureux de Tony Scott fonceront tête baissée, tandis que les partisans d’un cinéma plus traditionnel passeront tranquillement leur chemin : Domino, le dernier film du réalisateur anglais exilé à Hollywood, arrive dans les bacs, et, le moins qu’on puisse dire est que l’éditeur Metropolitan a mis les petits plats dans les grands pour cette édition double DVD, en ne proposant pas moins de trois heures de suppléments. Une édition collector qui nous ferait presque regretter de ne pas aimer le film.
On avait quitté Tony Scott en pleine forme, avec un Man on Fire flamboyant. Le voilà de retour avec Domino, qui raconte l’histoire de Domino Harvey, jeune mannequin attirée par la marge, devenue chasseur de primes, qu’une équipe de télé-réalité va suivre dans ses exploits. Le scénario est signé Richard Kelly, l’auteur du surestimé Donnie Darko.
Au sein de la filmographie de Tony Scott, Domino est le cousin malade de True Romance, brillante adaptation du premier scénario de Tarantino. Mais Richard Kelly n’est pas Tarantino, et la narration chaotique du film ne semble ici aucunement justifiée. D’un point de vue visuel, Scott reprend les choses là où Oliver Stone les avait laissées avec Tueurs nés et U‑Turn. Le film ressemble donc à une longue bande-annonce de deux heures, ce qui s’avère assez éreintant à suivre, et l’indigestion guette. Les expérimentations visuelles et sonores, qui semblent désormais faire partie intégrante des préoccupations actuelles du cinéaste, ne sont ici hélas aucunement portées par l’histoire (quasi inexistante) qu’elles servent à raconter. Quant aux sous-titres incrustés de manière artistique à même l’image, ils ne présentent ici, contrairement à leur utilisation dans Man on Fire, que peu d’intérêt. Le pire dans tout ceci est que cela finit par ne plus du tout ressembler à du cinéma. On est effectivement plus proche du court-métrage publicitaire commandé par le site Amazon.com à Scott, Agent Orange. Et si la démarche de Scott est à prendre au second degré, en ce qu’il nous livre une satire des médias américains et de l’imagerie Beverly Hills, en utilisant deux des interprètes de la série (Brian Austin Green et le toujours fringant Ian Ziering – 42 ans tout de même), on n’adhère pas pour autant, étant donné que rien de nouveau ni d’intéressant ne nous est ici proposé par rapport au film de Stone.
Au milieu de cette débauche d’images ultra-stylisées se dégagent deux des plus attachants beautiful losers que l’Amérique ait enfantés, Mickey Rourke et Tom Waits. L’ex-Johnny Belle Gueule y interprète Ed, le boss de Domino. Chasseur de primes un brin arnaqueur au passé chaotique, à l’image de Rourke lui-même, on se surprendra à être ému lorsque celui-ci évoque son passé de guitariste de rock, qui a accompagné Stevie Ray Vaughan et Pat Benatar. Tom Waits quant à lui, en plus d’avoir contribué à la bande originale, incarne le temps d’une scène un prédicateur complètement allumé annonciateur d’une prophétie improbable.
L’édition double DVD collector du film est truffée de suppléments, dont certains ont été réalisés spécialement pour l’édition française. On trouve sur le premier disque le commentaire audio de Tony Scott et Richard Kelly, ainsi que les restitutions audio des réunions de travail de Scott et son producteur Zach Schiff-Abrams, tandis que pas moins de trois heures de bonus sont répartis sur le deuxième disque : interviews en pagaille (dont celle de l’authentique Domino Harvey), scènes coupées, et autres traditionnels reportages sur le tournage et la préparation des acteurs (ici l’entraînement de Keira Knightley au nunchaku).
Un supplément sort cependant du lot : un passionnant documentaire de Didier Allouch intitulé Mickey Rourke, Retour de l’enfer, retrace la carrière de l’acteur maudit, qui, après des débuts fracassants (dans L’Année du dragon de Cimino, ou Angel Heart, pour ne citer que ces deux-là), s’est peu à peu détourné du cinéma, pour entamer en 1992 une carrière de boxeur professionnel, au parcours pas si médiocre qu’on le laissait entendre alors, à en juger par ses dix victoires en onze matchs, et au vu des images d’archives sportives proposées ici, où nous le voyons mettre son adversaire au tapis, et ce dès le premier round. Après une longue traversée du désert (c’est l’époque où on pouvait le voir traîner sa dépression dans des films abjects, tels que ce Love in Paris, pseudo-suite au déjà inutile 9 semaines et demie), le visage marqué par les blessures (pas moins de quatre fractures du nez) et la chirurgie esthétique, Rourke va chercher, selon ses mots, petit à petit à « reconquérir sa carrière », comme on reconquiert un titre sportif après des années d’absence, c’est à dire progressivement, à mesure qu’on se reconstruit. Coppola, Malick et Stallone l’embaucheront à tour de rôle, et depuis son rôle de Marv dans Sin City l’an dernier, l’acteur semble avoir définitivement refait surface, même si celui-ci se montre plus prudent, et surtout plus humble, quand il déclare : « Quand tu es à terre pendant tant d’années, tu ne te sens jamais “de retour”. » L’homme n’a pas encore tourné son chef-d’œuvre, comme il aime à le penser, mais possède un tel capital sympathie que sa présence seule dans ce Domino donnera probablement envie à certains d’y jeter un coup d’œil.