Traqués par un cow-boy bien décidé à veiller sur les frontières de son pays, des immigrés clandestins venus du Mexique tentent de survivre au désert par lequel ils sont entrés aux États-Unis. L’idée est séduisante sur le papier : il s’agirait d’approcher un sujet contemporain par une inversion de l’imagerie du mythe américain. Elle le devient beaucoup moins dès lors que l’on comprend que Desierto n’est en fait mû que par une volonté de punition. Cette dangereuse association (punition et geste qui se veut politique) est en effet la formule idéale pour aboutir à un film-choc visant l’épate et les tours de force. Mais ce n’est pas là le principal travers du premier film de Jonás Cuarón, tant sa thématique n’est en fait qu’une façade masquant un tout autre projet.
Jugement
Que le film ne s’interdise rien en terme de violence (gros plan sur les impacts de balle, morsures du chien déchirant la gorge de ses proies, fractures ouvertes…), c’est une chose. Après tout, Desierto assume totalement son statut de survival, lorgnant même sur la construction de Massacre à la tronçonneuse (une hécatombe initiant une chasse quasi ininterrompue). Mais à la brutalité visuelle du cauchemar de Tobe Hooper, Jonás Cuarón oppose une constante volonté de « bel ouvrage », avec de longs et beaux plans fixes. Desierto se veut classieux en toutes circonstances, et ce quelle que soit la sauvagerie qu’il nous expose.
En plus de se vouloir l’héritier d’un certain grand cinéma américain, le film serait une grande déclaration d’amour aux principes spirituels fondateurs d’une nation bâtie dans le sang. À en croire les péripéties qui nous sont exposées, il s’agirait pour devenir citoyen de cette noble nation de se livrer à un jugement, le grand inquisiteur étant ici un désert impitoyable. Il ne s’agit en fait ni plus ni moins que d’une ordalie, une épreuve dont le résultat sera interprété comme un verdict d’ordre divin. La sentence sera alors appliquée par un bourreau aux allures de cow-boy poussiéreux, ange déchu qui fut autrefois un bon Américain. Les premiers plans nous dévoilent tout ce que l’on doit savoir à son sujet : il boit, il fume, il est accompagné d’un berger allemand, il arbore un drapeau sudiste, et il tire sur des petits lapins. Il aimait autrefois son pays, désormais il le déteste confesse-t-il à son chien. Pas de doute, plus rien n’est à sauver chez lui. Face à cette figure du mal, nous trouvons son opposé en tous points, Moïse (oui vraiment), interprété par Gael García Bernal. Celui-ci aide à l’inverse son prochain dès qu’il en a l’occasion, et contemple régulièrement la peluche de son enfant qu’il cherche à rejoindre aux États-Unis (cause noble parmi les nobles causes). C’est bien cette nature profondément compatible avec l’esprit premier du mythe de l’idéal américain qui va lui permettre de survivre à la première moitié du film contrairement à la plus grande partie de ses compagnons de route, qui seront victimes de châtiments pour le moins impitoyables.
Châtiments
Chaque personnage va ainsi être sanctionné à hauteur de ses péchés. Le passeur, profiteur de situation n’hésitant pas à laisser derrière lui les plus faibles, est sans surprise le premier à être abattu. Pas la peine de s’attarder sur le vieux vicelard qui a des vues sur la jeune innocente. Mais cette logique de punition ne s’arrête pas aux personnages les plus condamnables, s’abattant par exemple par la suite sur le malheureux qui, un peu trop gros, ne saute pas aussi loin que les autres. Ce travail là n’est pas l’œuvre du bourreau : si le méchant cow-boy prend soin d’achever sans hésitation tout ce qu’il croise, c’est bien le tout-puissant désert qui est en charge de la sélection. Une fois la soif de ce Dieu-juge étanchée, ce dernier se retournera bien sûr contre son ancien héros, lui assénant la sanction la plus violente (et la plus lâche, car hors champs). Le nouvel élu pourra alors pénétrer dans le territoire sacré parfaitement innocent, et poser le genou à terre pour bénéficier d’un Deus Ex Machina salvateur.
Au delà de cette surenchère religieuse que l’on peut à la rigueur accepter, comment justifier par ailleurs que l’on soit si souvent placé dans la position du chasseur ? Car si les images chrétiennes sont un exercice récurrent chez les Cuarón, Alfonso (père de Jonás et producteur du film) célébrait quant à lui ses protagonistes. Le très réussi Les Fils de l’homme avait beau aborder lui aussi la question de l’immigration en usant de métaphores bibliques, l’enjeu était, comme dans Gravity, de se concentrer sur la foi des Hommes. Dans Desierto, on ne compte plus les vues subjectives par la lunette du fusil au travers de laquelle passent des cibles mouvantes que l’on observera par la suite se traîner longuement au sol avant d’être achevées plein cadre. C’est bien simple : Desierto est un film profondément sadique. Il l’est envers ses spectateurs tout autant qu’envers ses personnages. Et qu’en est-il de ses sujets initiaux, les exactions envers les immigrés mexicains et la dérive sécuritaire de la politique migratoire américaine ? Ils se retrouvent totalement occultés, la police frontalière faisant une brève apparition uniquement pour démontrer sa bête incompétence. Seules deux grandes révélations demeurent : un immigré peut être le gentil de l’histoire (enfin, à condition qu’il soit un exemple même de moralité chrétienne), et il ne faut pas trop s’inquiéter des horreurs de ce monde, puisque la justice divine finira bien par faire le travail. C’est culturel, diront certains. Libre à eux d’arpenter ce véritable chemin de croix.