Moins bruyant et caricatural que Les Enragés de Detlev Buck, Désir(s) ne tente de percer aucun mystère : ni celui du plaisir féminin avec l’empathie et l’écriture sentencieuse d’un Brisseau, ni celui de la société allemande dans sa totalité. Il fait simplement partie de ce cinéma allemand voulant raconter une histoire simple, sans les partis pris esthétiques parfois forcés que l’on retrouve dans certains films des frère Dardenne ou du précédemment cité Detlev Buck. Valeska Grisebach, pour son deuxième film de fiction, interroge les aspirations de quelques-uns de ses contemporains, avec élégance et modestie.
Comme souvent dans ce « nouveau » cinéma allemand, qui, à force d’être nouveau, deviendra un véritable mouvement, Valeska Grisebach vient du documentaire. Comme ses collègues, elle en a retenu un amour certain du réalisme mais ne s’encombre pas de mouvements forcés de caméra à l’épaule ou de tremblements pour montrer le réel. Ce dernier existe avant tout au travers de ses trois personnages, peu écrits et peu dialogants, qui vivent au milieu des autres dans un espace indéterminé. L’action se déroule dans un village, probablement en banlieue de Berlin, rythmé par les migrations pendulaires et les congrès de pompiers. V. Grisebach filme la vie de tous les jours mais également ses imprévus : un accident de voiture qui ressemble à un suicide, une blessure routinière que l’on rapproche de Roméo et Juliette, et quelques êtres qui n’ont pas oublié dans le travail et le quotidien qu’ils ont des corps et des désirs.
Il y a aussi dans la panoplie du documentariste l’amour des acteurs non professionnels, tous vierge de passage à l’écran et de tics de jeu, qui se sont visiblement laissés guider par une direction d’acteurs minutieuse. Andreas Müller, Ilka Welz et Anett Dornbusch se sont mis dans la peau de Markus, Ella et Rose. Markus et Ella sont mariés, amoureux. Ils n’ont pas d’argent mais quelques projets suffisants à faire de la vie autre chose qu’une suite d’événements répétitifs et monotones. Mais Markus rencontre, lors d’un voyage professionnel, une serveuse, Rose, qui a le mérite d’être là à ce moment-là. Valeska Grisebach n’a pas filmé une histoire d’adultère ou de culpabilité, simplement un moment où le contact de deux peaux devient naturel. On y retrouve l’émotion et la perplexité du désir que Robert Guédiguian avait exploitées dans Marie-Jo et ses deux amours.
L’amour est partout dans ce film : entre les époux, entre les amants… et le désir aussi. Ils hésitent, à dire, à finir leurs phrases, à demander, à pardonner. Mais jamais l’immobilisme ou la médiocrité n’atteint Désir(s). Si le film est inégal scénaristiquement, manquant peut-être un peu d’écriture ou de précision sur une ou deux scènes (notamment celle de la danse) qui se traînent de fait en longueur, certains magnifiques plans de coupe ruraux amènent à une très belle scène d’amour entre Markus et Rose, qui vaut le détour : filmant de très près ses personnages, la réalisatrice les cherchent autant qu’ils se cherchent, qu’ils se croisent, et chaque plan fait écho aux baisers qu’ils se rendent.
Sans effets, sans chichis, Valeska Grisebach filme des moments de rupture, qu’ils soient tendres ou mystérieusement désespérés. Elle laisse enfin beaucoup de place à l’imagination de chacun, ne choisissant jamais l’affrontement violent et préférant le hors champ, paradis de ceux qui veulent dire sans montrer de façon trop évidente. On peut toujours voir en Désir(s) un énième petit film sans prétention cherchant à coller à la réalité d’une société et de ses souhaits. Mais il est bien mené, attendrissant, sensuel et ne veut pas paraître plus qu’il n’est. C’est déjà, en soi, une réussite.