Si les jeunes réalisateurs transalpins ne répugnent pas à se colleter avec l’histoire politique récente de leur pays, le résultat peine hélas trop souvent à convaincre. Bien loin de la rigueur d’un Francesco Rosi, de la causticité d’un Nanni Moretti ou de la puissance d’un Marco Bellocchio, la nouvelle génération de cinéastes italiens ne convoque le passé que pour mieux le raboter, voire l’exorciser. Fortapàsc est la dernière illustration de cette fausse audace qui cache une vraie frilosité : alors que cette histoire de collusion entre Mafia et monde politique, à la faveur de la reconstruction d’un quartier après un tremblement de terre, pourrait éveiller des échos d’une troublante actualité, le film se contente de rendre un hommage bien sage à une victime expiatoire sans que jamais la rage ou l’indignation ne viennent l’habiter.
En 1985, le jeune journaliste Giancarlo Siani est assassiné, pour s’être intéressé d’un peu trop près au fonctionnement de la Camorra, à ses rivalités internes et à ses relations avec les élites politiques de la petite ville de Torre Annunziata. Il venait d’avoir 26 ans. Sa voix off retrace, post mortem, son parcours.
Le film de Marco Risi témoigne de l’évolution récente de la représentation cinématographique de la Mafia, sous l’influence d’œuvres comme Gomorra. Après avoir été magnifiés en hors-la-loi flamboyants ou en aristocrates shakespeariens, les parrains et autres affranchis sont désormais ramenés à leur juste dimension : celle de beaufs armés, menacés moins par quelques fonctionnaires incorruptibles que par leur propre bêtise et l’arrogance que leur inspire leur sentiment d’impunité. La vulgarité bling-bling des années 1980, que Fortapàsc reconstitue avec un soin maniaque, se marie bien avec le film de mafia nouvelle manière.
Fortapàsc est honnête, quoique banalement illustratif. Il souffre de ne pas choisir entre deux genres bien distincts : la tragédie, qui amène le spectateur à s’identifier à un personnage qu’il sait par avance condamné, et le film-dossier, minutieux, didactique, à la froideur presque scientifique. La structure toute entière du film est minée par cet entre-deux : le portrait intimiste du jeune idéaliste se marie mal avec les scènes de conciliabules mafieux (pas toujours convaincants) et de règlements de comptes entre « familles ». Cette construction bancale n’est pas rachetée par la mise en scène transparente de Marco Risi, fils de Dino – le talent, décidément, n’est pas héréditaire. Le film ne se montre à la hauteur de son sujet que le temps d’une séquence, qui convoque ouvertement Main basse sur la ville, le chef‑d’œuvre de Francesco Rosi : une séance municipale houleuse et une réunion de mafieux y sont judicieusement rapprochés par un montage alterné.
Au-delà de ses défaillances formelles, le film de Marco Risi opère un contresens dans le traitement de son personnage principal. En cherchant à rendre Siani aussi pur et innocent que possible, il en fait un martyr inconscient de la liberté de la presse. Héritant des traits indécis et vaguement harrypottériens de son interprète Libero De Rienzo, le journaliste semble, dans le film, ne s’être intéressé à la Mafia que par une passion assez enfantine pour son métier – sans volonté particulière de changer le monde. Jusqu’à la fin, où on le voit esquisser un sourire devant les hommes de main qui s’apprêtent à l’exécuter, il ne semble rien comprendre à ce qui lui arrive. Or, le vrai Siani ne se contentait pas de décrire la réalité, il était engagé politiquement, sensible aux problématiques sociales : il savait que c’était la pauvreté des laissés-pour-compte qui permettait leur embrigadement par les structures mafieuses. On regrette que Marco Risi, au lieu de se concentrer sur le parcours professionnel et l’évolution du personnage, forcément passionnants, ait dressé le portrait convenu d’un agneau sacrifié, et se soit perdu en scènes intimistes (les tourments affectifs de Siani, sa copine jalouse et son ami drogué), dont on n’a vraiment que faire.