Dans cette histoire de simplet d’un coin perdu de l’Irlande, la composition de l’interprète principal (Pat Shortt) y est pour beaucoup puisqu’il parvient véritablement à faire exister ce garagiste dévoué. Mais il faut aussi saluer la capacité de Lenny Abrahamson à se mettre au service de son personnage, à ce que la réalisation fasse corps avec lui. Toujours à la recherche de la bonne distance, il épouse la simplicité, la drôlerie et la gravité de Josie, en faisant subtilement glisser le ton du film d’une absurdité un peu bouffonne à une réalité noire et cruelle. Un bel hommage à la complexité des gens simples.
Lenny Abrahamson aime visiblement faire exister les personnages sans grade aux marges de la société. Après l’errance dublinoise d’Adam & Paul, deux toxicomanes, Garage s’aventure dans l’Ouest irlandais pour suivre un simplet quadragénaire bénéficiant de la bienveillance de la communauté qui tolère ce subalterne considéré comme un solitaire inoffensif, une figure locale comme on dit, dont on se moque gentiment. On lui parle, on lui sourit, mais jamais d’égal à égal. Josie, c’est son prénom, tient avec toute sa bonhomie la station-service en sursis d’une petite bourgade (petite ville, gros village, on ne saura point…) qui le semble tout autant.
Le réalisateur s’attache à faire de Josie une figure on ne peut plus marginale. Le garage est situé en périphérie de cette localité, elle-même dans un coin reculé de l’Irlande rurale. Si la ruralité intéresse le cinéaste, c’est pour cet aspect spatial et plutôt que de sombrer dans le film carte postale pittoresque, il multiplie les signes de la banalité. Le fait que Josie habite un réduit sordide de cette station-service amplifie cette dimension marginale, il fait corps avec son lieu de travail, l’espace public et privé ne font qu’un. L’horizon mental et géographique du personnage est ainsi considérablement borné, s’il s’aventure au pub et à l’épicerie du patelin, seuls les « autres » partent : un camionneur, client régulier, aux Pays-Bas et l’épicière pour une indéterminée destination ensoleillée. Le personnage est littéralement scotché à un centre de gravité : le garage. Ce non-rapport à l’ailleurs est aussi souligné ironiquement par le fait qu’il est toujours coiffé de sa casquette « Australia ». Dans ses promenades, plaisir simple qu’il affectionne, nez au vent, il prend toujours un chemin de traverse qui lui permet de rendre visite à un cheval.
La ruralité, un simplet et un acteur prodigieux (Pat Shortt, très célèbre en Irlande notamment pour ses one-man-shows), il y avait là la place pour une comédie pleine de dérision sur les ploucs irlandais ou un propos moralisant (du genre « la différence, c’est notre richesse à tous !»), mais Lenny Abrahamson évite ces périlleux travers avec soin, c’est bien heureux, pour s’engager dans un minimalisme doux-amer. Garage épouse dans une forme très dépouillée son personnage. Josie est, on l’a compris, un peu lent à la détente, de plus il ne marche pas facilement à cause d’une hanche déglinguée. De manière très linéaire, le film avance à son rythme, c’est-à-dire avec patience, par petites touches en alternant blocs temporels étirés et ellipses, aussi bien dans la drôlerie, subtilement présente, que dans le tragique, vers lequel Garage se dirige.
Par le truchement de David (Conor Ryan), un adolescent qui vient l’aider au garage en fin de semaine, le monde de Josie si réglé et normé se trouve tout à coup bouleversé. La cohabitation entre les deux êtres est d’abord filmée en plans plutôt larges, ils se retrouvent ensuite buvant des bières et scrutant le couchant dans un cadre serré, les deux profils en enfilade : une relation se noue avec ce jeune garçon timide et peu causant. Le simplet sort de ses sentiers battus et rebattus, il existe, au moins aux yeux de quelqu’un, à part entière. Être innocent, et il l’est, c’est ne pas voir le mal, un penchant qui ne s’accorde pas avec la complexité et la rudesse des relations humaines. Josie est sorti de sa condition et le corps social ne manquera pas de le sommer de faire le chemin inverse. La solitude n’est alors plus la même, elle est solitude.