Après le confidentiel et frappadingue Frank, Lenny Abrahamson porte à l’écran le surpuissant roman d’Emma Donoghue, paru en 2011. Room, c’est à la fois le sordide, celui des faits divers autrichiens mêlant séquestration, viol et inceste (les affaires Kampusch et surtout Fritzl dont l’auteur s’est largement inspirée) et le merveilleux, celui du regard candide d’un enfant sur le drame qu’il traverse. Adapté et scénarisé par l’auteur elle-même, le film joue les équilibristes sur le fil tendu d’une horrible tragédie, à même de susciter une immense empathie mais capable aussi de noyer sous un torrent émotionnel toute velléité cinématographique.
Le fils
Joy (Brie Larson oscarisée pour sa prestation) vit recluse dans une minuscule cabane depuis son rapt. Son kidnappeur, qui subvient à ses besoins quotidiens, la viole régulièrement et finit par l’engrosser. Mais la naissance de Jack, pourtant l’enfant d’un crime, donne à la jeune femme l’énergie de survivre, de transcender sa terrible destinée pour se réinventer en mère courage. En ouvrant son film par le 5e anniversaire du petit garçon, Lenny Abrahamson rejette d’emblée toute référence au passé de son héroïne (sa vie avant son enlèvement, les débuts de sa séquestration…), ancrant son récit dans un présent éternel, celui d’une existence coupée du temps, de l’espace et de la réalité. Ce qui l’intéresse réside moins dans la faculté de résilience de Joy que dans la construction mentale de Jack pour qui le monde est contenu entre les quatre murs de la chambre. Si faire porter un film sur les frêles épaules d’un enfant pouvait s’avérer un choix dangereux, la justesse du jeune comédien Jacob Tremblay s’étale comme une évidence à chaque plan. Incroyablement nuancé et mesuré dans son jeu, alors même qu’il évolue dans un univers brutal et excessif, il apporte à Room une densité dramatique inouïe.
Conte moderne
Filmé à hauteur d’enfant donc, empreint de sa sensibilité, Room puise ses références aux sources du conte, de ceux qui font frémir et cauchemarder, comme le surnom du kidnappeur violeur baptisé Vieux Nick par Jack, renouant avec les classiques figures ogresques. Le réalisateur et Emma Donoghue ne s’intéressent ainsi que très peu au trauma adulte, auscultant au plus près la construction d’un imaginaire enfantin contraint. Dans cette chambre, tout devient signifiant. Chaque meuble, chaque objet relèvent d’une fonction, utilitaire et symbolique. Le placard sert ainsi de rangement mais dérobe aux yeux du garçon les violences sexuelles que subit sa mère. Cette double lecture du monde permet un agrandissement spatial et cognitif qui se ressent dans la mise en scène, jamais étriquée malgré l’asphyxie latente du huis-clos. Au contraire, le réalisateur semble épouser et épuiser chaque recoin de la pièce, multipliant les angles, oxygénant son cadre tout autant que ses personnages.
Dissolution et renaissance
Habilement scindé en deux parties distinctes, Room abandonne à mi-chemin le récit de la claustration pour basculer vers une autre narration, celle d’un retour à la normale pour Joy et d’une épiphanie pour Jack. Alors qu’on aurait pu s’attendre à une normalisation de la vie du duo mère/fils, Abrahamson s’attelle à une révélation plus sournoise et inattendue. Car, si le garçon surnage dans ce nouveau monde, sa mère ne négocie pas avec la même facilité ce retour au réel. Retravaillant encore les motifs du conte où les enfants sauvent bien souvent leurs parents (de la mort ou de la pauvreté), Room observe les tourments d’une femme qui s’est oubliée dans le processus de protection de sa progéniture, autrefois seule juge de son éducation, aujourd’hui soumise aux regards des autres, de ses parents et de la société, moins encline à la compassion qu’on pourrait le croire. En cela, la partition de William H. Macy, incarnant le père de Joy, se révèle intéressante, bien que trop courte. Les questionnements abyssaux que sa réaction charrie auraient pu ouvrir une réflexion plus large sur la nature des liens filiaux et la difficile acceptation d’un enfant conçu dans le viol. En cela, Room apparaît tiède, touchant du bout des doigts une épineuse thématique mais ne se donnant pas les moyens de l’interroger pleinement. Le film demeure toutefois une proposition émouvante qui évite soigneusement le pathos, une singulière plongée dans la psyché d’un enfant et une histoire de renaissance et d’amour bouleversante.