La méthode de Clément Cogitore commence à être identifiée : il s’agit de partir de l’étude d’un milieu concret et doté d’une spécificité forte pour faire émerger sa part mystique et fantasmagorique. D’où que le cinéaste alterne fictions documentées et documentaires contenant en eux un potentiel mythologique : son cinéma repose sur une nécessaire porosité entre ces deux formes. Ramsès (Karim Leklou) est l’un de ces médiums implantés près de la Porte de la Chapelle. Son petit numéro d’arnaqueur, très bien ficelé, commence même à faire de l’ombre à ses concurrents, jusqu’au jour où il semble frappé par une véritable vision qui le mène à la dépouille d’un enfant mort. Le virage fantastique est à la fois beau et un peu trop abruptement négocié : au cours de l’une des sessions nocturnes qu’il organise, Ramsès, au milieu d’une scène, se tourne vers les hauteurs de la salle, laissées hors champ, comme pour regarder une présence invisible, avant que le montage ne le téléporte près d’un chantier où il trouvera le corps. La mise en scène entretient sciemment le flou, faisant croire d’abord à une ellipse alors même que le personnage, comme il le confiera plus tard, ne sait réellement pas comment il est passé d’un lieu à l’autre. L’idée, assez géniale, pourrait même être vertigineuse, si elle n’était pas émoussée par le flou général dans lequel le film est plongé. Ce flou, Cogitore en a besoin : c’est la condition nécessaire de son cinéma de l’entre-deux, à la fois réaliste et chamanique. Mais cet entre-deux a un prix. Du quartier de la Goutte d’or, on ne voit ainsi que des fragments (certes identifiables, comme l’activité autour du métro, par exemple), la faute à une caméra qui multiplie les plans serrés avec une faible profondeur de champ et privilégie les intérieurs aux paysages urbains.
Le scénario d’ailleurs ne s’en cache pas : « Goutte d’or » désigne moins un espace qu’un personnage, Ramsès, qui se voit affublé de ce surnom dans l’épilogue. Sur ce point, le film fait naître une réelle frustration, tant l’ancrage ethnologique paraît par endroits un peu surfait, tandis que l’étrangeté que recherche Cogitore ne fait véritablement mouche que dans une scène (sans trop en dévoiler : l’apparition étonnante d’un corps double, à l’image du film). Goutte d’or convainc légèrement davantage dans les déambulations nocturnes où Ramsès est guidé par une bande d’enfants inquiétants. Il n’est pas anodin que le film gagne en substance au contact de ces petits démons, qui voient en Ramsès un « mage » et furètent dans le quartier en quête de « trésors » : c’étaient déjà les enfants qui brillaient dans Braguino, lui aussi inégal, en aménageant un terrain de jeu (une île) dans un territoire aux allures de monde archaïque. Si l’enfant est la figure la plus disposée à croire à la magie, Cogitore approche cette dernière en adulte, et plus encore, en artiste. Le film littéralise son horizon : exhumer l’ésotérisme enfoui sous la surface du monde matériel. Goutte d’or s’achève sur le petit frisson métaphysique résultant de cette opération dont on devine trop les coutures. Car l’entre-deux de Cogitore relève aussi d’un numéro d’équilibriste ; tout à la fois pas assez ethnologique et pas assez chamanique, le film joue et perd sur les deux tableaux.