À trois quarts d’heure de TGV de Paris se tenait dernièrement le Festival du film de Vendôme, avec un foisonnant programme mêlant courts et longs-métrages fictionnels et documentaires, ainsi que diverses séances alliant rétrospectives, avant-premières et cinéma d’animation. Emmenée par une équipe dynamique, cette vingtième édition fut l’occasion de très précieuses découvertes, notamment au niveau des formats courts.
Un vent de jeunesse souffle sur le Minotaure, flamboyante structure « arts et essais » de la ville de Vendôme, pour un festival qui ouvre très largement ses portes à un public de lycéens venus de toute la région. Centre Images, association organisatrice de la manifestation, perpétue notamment un partenariat avec un lycée de Dreux afin que les élèves de la section cinéma puisse publier des critiques dans le journal du festival. Entre la grande salle de spectacle du Minotaure et le Cinémobile (sympathique camion abritant une salle de cinéma), c’est donc dans la joie et la bonne humeur que se déroulent les séances, au gré des réactions et discussions enflammées d’après projection du jeune public. Dans la ville, c’est également l’effervescence car, au-delà de la fierté locale que peut représenter une telle manifestation, un important déploiement de bénévoles dévoués permet au festival de se dérouler sans accrocs. Une bonne occasion, donc, de se plonger dans une sélection de courts-métrages regroupant compétition nationale et européenne.
Vitalité des représentations
On retrouvait en sélection quelques noms déjà familiers, notamment celui de Sophie Letourneur et son Marin masqué (qui a remporté le Grand Prix national lors de cette édition), Jean-Sébastien Chauvin avec Et ils gravirent la montagne ou bien encore Clément Cogitore qui présentait Parmi nous. Ce dernier décrit le parcours d’Amin, un jeune clandestin kurde vivant dans un camp de réfugiés en forêt. Chaque nuit est l’occasion de tenter de franchir une frontière que l’on imagine être la même que celle des réfugiés de Sangatte, comme un quotidien sans fin. Les personnages sont des observateurs silencieux, des ombres dans la forêt en état de tension permanente, que seule une étrange scène de rave party vient mettre en lumière. Mais l’occasion de se mêler à la foule de noctambules technoïdes ne produit aucun contact avec la population locale, et se réduit finalement à un rêve éveillé, dont on n’est point sûr qu’il se soit réellement produit. Le film développe toute une dialectique de l’ignorance de l’autre et de la clandestinité, de la façon dont on cherche à nier l’existence de ces immigrés, notamment à travers l’ahurissant récit de cet étranger écrasé par une voiture, le tout nettoyé en quelques minutes afin de rouvrir la circulation au plus vite, comme si de rien n’était. Et même si ce discours parfois trop ostensiblement volontariste vient entacher la précision de l’ensemble, il ne suffit pas à effacer totalement les belles promesses déjà entraperçues chez Cogitore (voir Bielutine – Dans le jardin du temps).
Du côté de la précision, il est un moyen-métrage de Guillaume Brac intitulé Un monde sans femmes (Prix spécial du jury en compétition nationale) qui fait preuve d’une formidable justesse dans la description des rapports humains, dans la même veine que les films de Mikhaël Hers (Memory Lane, Montparnasse). Se déroulant dans une petite station balnéaire picarde, cette fiction met en scène trois personnages : une mère célibataire délurée (Laure Calamy) et son adolescente de fille (Constance Rousseau, déjà vue chez Mia Hansen-Løve) vont vivre une délicate ronde de trois avec Sylvain (Vincent Macaigne), propriétaire gauche et timide de l’appartement qu’elles louent pour les vacances. Le film vaut le coup d’œil pour sa peinture d’un petit milieu provincial où tout le monde se connaît, où la promiscuité vient parasiter le développement tranquille d’une relation sensible, en même temps que l’intimité de Sylvain est sans cesse exposée au regard des jeunes femmes par les autres habitants. Se développe alors toute une thématique de la gêne très astucieusement menée, entre la conception préconçue du petit gars de province par rapport aux femmes de la capitale et de sa condition supposée inférieure, pendant que les deux parisiennes s’amusent de cette gêne comme d’un élément vaguement folklorique. Le projet se gonfle progressivement d’une étonnante gravité diffuse, à mesure que l’on comprend que le « monde sans femmes », c’est autant celui de Sylvain que celui de la station balnéaire hors saison. Belle réussite, à laquelle il faut associer celle de comédiens toujours justes et émouvants.
Le monde sans femmes, c’est aussi celui de Girl de Fijona Jonuzi (Prix spécial du jury en compétition européenne), surprenant petit film suédois qui démarre sur un postulat désarmant de simplicité : une belle trentenaire rencontre un soir chez l’épicier du coin un adolescent séducteur qui l’embarque dans une fête avec ses potes. Le film joue avec une remarquable ambivalence sur le fait que la « girl » en question s’avère être la seule fille de la soirée, et qu’elle a environ dix ans de plus que tous ces jeunes mâles en rut. Et même si rien n’est jamais clairement explicité en ce sens, le film fait appel à une matière documentaire insaisissable, que le découpage en courts épisodes (presque des instantanés) vient judicieusement suppléer, comme les souvenirs diffus d’une soirée alcoolisée.
Autre Suédois, autre lauréat, avec le Grand Prix européen qui a été décerné à l’épatant Killing the Chickens to Scare the Monkeys de Jens Assur, qui suit à rebours et en plans fixes comment une exécution sommaire de criminels en Chine est en fait une authentique méprise sur la nature même de l’arrestation d’une d’entre eux. La forme et le fond se rejoignent pour inventer une véritable représentation de l’arbitraire, symbolisée par les nombreuses entrées et sorties de champ des représentants de l’État chinois, et par le déroulement causal absurde des neuf plans qui constituent le film. Une mise en scène diablement efficace, et pourtant jamais imbue de sa propre virtuosité.
Et pour terminer sur notre lancée des titres improbables, il faudrait également citer Le commissaire Perdrix ne fait pas le voyage pour rien d’Erwan Le Duc, qui offre un des plans d’ouverture les plus désopilants que l’on ait pu voir depuis longtemps : dans une sorte de bistrot-dancing, une femme voilée bien portante se trémousse au son d’une musique disco avec un légionnaire asiatique, annonçant la couleur d’un film qui joue volontairement la carte de l’absurde. Et même si cette logique et l’humour potache qui en découle enferment parfois le récit dans un exercice de style trop brillant, il faut reconnaître à Erwan Le Duc un talent de mise en scène qui ne demande qu’à s’épanouir sous des auspices moins clairement identifiables.
De-ci, de-là
Pour fêter les vingt ans d’existence du festival, une programmation rétrospective permettait de revoir les films qui ont marqué les précédentes éditions. L’occasion de découvrir les œuvres de jeunesse de certains noms qui ont depuis, et notamment grâce à la reconnaissance de festivals comme celui de Vendôme, fait bien du chemin. Delphine Gleize, Christian Rouaud, Joachim Lafosse ou encore Danielle Arbid étaient à l’honneur parmi tant d’autres le temps de quelques séances.
L’opportunité de découvrir, par exemple, l’un des premiers travaux de Dominique Marchais, dont Le Temps des grâces résonne encore dans nos têtes comme l’une des plus belles concrétisations de la naissance d’un regard documentaire à la fois pertinent et poétique. Avec Lenz échappé (2003), court-métrage de fiction de neuf minutes, il réalise un portrait du poète Lenz d’après la nouvelle de Georg Büchner. Un portrait au sens pictural du terme, ou les différentes manières de s’approprier un visage, celui du poète, en le modelant (silhouette tracée au crayon, masque en plâtre, suie étalée sur le visage). Le film pose, à travers la figure de Lenz, la question de ce que peut être un portrait et y répond en délimitant des contours : ceux d’un paysage, ou en marchant le long d’une rivière pour en tracer la bordure, ou par des empreintes laissées dans la boue. Et le portrait qui se dessine progressivement est une esquisse en creux, échappant ainsi avec intelligence à l’épineux problème de la reconstitution.
Un autre film à distinguer dans cette rétrospective fut le documentaire sous forme d’essai de S. Louis intitulé Ensuite ils ont vieilli (2004). Il s’attaque également à un obstacle rarement aussi bien surmonté au cinéma : la représentation de la vieillesse. Suivant le quotidien morne des pensionnaires d’une maison de retraite, avec ses moments d’attente et d’ennui, le film se donne au premier abord comme un regard dépassionné, vidé de son misérabilisme. Mais de frappantes singularités viennent ponctuer le déroulement du récit, où des confessions littéraires (extraites de l’œuvre de Shakespeare) sont récitées (interprétées ?) face caméra par certains occupants de la maison de retraite. Le film réussit alors à recueillir une parole noble et belle dans un lieu où toute dignité s’est envolée, comme pour réinjecter du sens à cette vie monacale et donner de l’épaisseur aux regards vides des pensionnaires. Le quotidien décrit ici est alors transfiguré par ces brusques accès de lucidité et rend aux personnages la vitalité qui semblait les avoir quittés.
En revanche, Armand, lui, ne manque pas d’énergie. Présenté en séance spéciale, le documentaire de Blaise Harrison intitulé Armand, 15 ans l’été (2011), sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs cannoise cette année, dialogue d’une belle manière avec l’univers de la grande gagnante de cette édition, Sophie Letourneur. Pourtant, rien n’y est (re)joué, mais il se déploie un art similaire de la captation du naturel humain à travers la figure d’Armand, adolescent extraverti et hyperactif, et du groupe de filles dont il constitue l’élément fédérateur. Les scènes de vie au lycée sont suivies avec une grande acuité par une caméra alerte et pourtant jamais intrusive. Mais, alors que se profilent les vacances d’été, c’est tout l’univers d’Armand qui va changer de rythme, entre les moments de solitude chez lui et les retrouvailles qui ponctuent la cadence lancinante d’un été dans le midi de la France. Il n’y a chez Blaise Harrison aucune recherche ostensible du sens, ce relâchement se traduisant paradoxalement à travers l’utilisation de moyens cinématographiques très précis : images léchées, flous artistiques, musique, montage son désynchronisé par rapport à la situation présentée. Tous ces artifices créent une suspension étrange du point d’énonciation, et permettent à Blaise Harrison de se concentrer sur son véritable objectif : saisir des instants fugaces comme les périodes de latence et d’ennui autant que les effusions de groupe dans le village, et dans un même mouvement, porter un regard bienveillant sur l’intimité d’un jeune garçon qui se livre sans retenue aux autres et à la vie. Cette tranche de vie dénuée de toute portée didactique permet de goûter avec bonheur à un présent qui nous échappe sans cesse, ou tout simplement, le temps d’une splendide séquence au bord d’un lac, de saisir la beauté tranquille de la nature et de l’été qui passe, inexorablement.
Conclusion venue des Balkans
Pour finir, à souligner une formidable séance de films d’animation venus de Croatie, sélectionnés par Vanja Andrijevic, productrice chez Bonobo Studio (société spécialisée dans le film expérimental et l’animation). L’élément le plus frappant de cette projection fut à mettre au crédit de l’ensemble des films, qui utilisent des méthodes d’animation et des matières d’une grande variété. Dessin sur papier, collages, peinture sur verre, image de synthèse, pâte à modeler, marionnettes, prises de vues réelles, pixillation étaient au rendez-vous, pour une déferlante créatrice de très bon aloi. Un cinéma plutôt engagé, notamment à travers trois courts-métrages qui dressent un portrait édifiant de nos sociétés modernes. Ainsi, dans Soldat (2006) de David Peros-Bonnot, l’inauguration d’une statue pour célébrer l’effort de guerre se transforme en véritable affrontement lorsque celle-ci prend vie et se retourne contre ses créateurs (l’armée), et prend au passage les caméras des journalistes présents à la cérémonie pour des armes, pour une charge décomplexée contre l’establishment. Dans She Who Measures (2008) de Veljko Popovic, c’est la société de consommation qui en prend pour son grade, à travers le récit allégorique d’une délégation beckettienne qui traverse le désert en poussant des caddies remplis de différents produits. La pollution et l’absurdité de ce mode de consommation sont ici stigmatisées jusqu’à l’épuisement total des troupes constituant cette étrange file indienne perdue au milieu de nulle part. Et enfin, The Market (2006) de Ana Husman, met en scène au moyen de prises de vues réelles accélérées la façon dont les fruits et légumes achetés au marché deviendront des produits de consommation courante (soupes, maïs en boites), ainsi que le processus de déconstruction/reconstruction des aliments (mise en bocaux). Le film questionne ainsi la nécessité de cet appareil de production et de consommation, en revenant toujours à la figure de proximité du marché et de son intérêt (ou non) à l’époque actuelle.
Nous pourrons donc considérer, au vu des différents enthousiasmes suscités ici et là par cette vingtième édition, qu’elle fut réussie, tant par la couverture qu’elle offre des multiples cinématographies se développant en Europe, ainsi que par le dynamisme que met toute l’équipe de Centre Images à proposer des expériences cinéphiliques variées et inédites aux jeunes publics. Qui, à n’en pas douter, reprendront un jour le flambeau pour perpétuer cette belle manifestation, qui ne demande qu’à s’accroître et accéder à une reconnaissance encore plus grande….