Certes, l’Hercule de Brett Ratner, vu par le prisme de la bande dessinée un brin iconoclaste dont il est l’adaptation (autrement dit : s’attendre à moult entorses à l’orthodoxie de la mythologie grecque), n’a aucun mal à faire moins de peine que la précédente apparition du demi-dieu à gros bras filmée par Renny Harlin il y a quelques mois. Là où ce dernier film s’avançait avec zéro idée et de l’énergie désespérément brouillonne, le nouveau propose une approche scénaristique alléchante et un semblant de maîtrise d’ouvrage. Cela n’empêche cependant pas de trouver cet Hercule plutôt fade dans l’ensemble — une fadeur qui a un goût : celle des bonnes idées sous-exploitées.
La bonne idée, c’est la mise en abyme de la légende bien connue, pour la réduire précisément à ce qu’elle est : une légende (dans une autre, donc, celle fabriquée par le film), soit un gros bobard colporté par les acolytes du « héros » pour faire monter les honoraires. Car cet Hercule-là, loin de compter parmi les fils illégitimes de Zeus promis par convention à un tumultueux mais glorieux destin solitaire, s’avère un mercenaire de père inconnu, certes costaud comme nul autre, mais surtout flanqué de compagnons doués dans leurs domaines respectifs (dont un oracle génialement douteux et une Amazone qui a sans doute appris à tirer à l’arc chez les Elfes de Peter Jackson), lesquels ne sont jamais de trop pour venir à bout de ses travaux (notamment les douze commandés jadis par le peu scrupuleux roi Eurysthée). Alors que la bande est embauchée pour mater une guerre civile dans le royaume de Thrace, son chef se trouve un peu prisonnier de la légende qu’il s’est forgée, et qu’il n’aura d’autre choix que d’assumer. En attendant ce moment, le film, entre deux scènes de bataille appuyées par la duplication numérique et les grands mouvements de bras de Dwayne Johnson dans le rôle-titre, se livre avec entrain au révisionnisme mythologique trouvant une analyse rationnelle aux étapes fantastiques de la vie du héros (même à l’hydre de Lerne ? oui), mettant la légende dans la bouche d’un bateleur trop enthousiaste pour être honnête, se riant gentiment des Dieux (qui n’existent pratiquement que de nom) et du Destin (par la bouche de l’oracle joué par l’excellent Ian McShane).
Selon leur bon vouloir
L’ironie programmée donne le meilleur d’Hercule, d’autant plus que Brett Ratner travaille volontiers cet aspect, se laissant aller plusieurs fois à amorcer un mouvement d’emphase pour mieux l’interrompre par une sortie spirituelle. On n’en regrette que plus amèrement que l’aspect le plus sérieux du film, les interférences entre faits et légende, ne soit pas tombé entre des mains d’une autre trempe — qui connaîtraient la valeur de l’image pour travailler ce thème, et n’auraient pas besoin de laisser le scénario le souligner toutes les deux scènes. Du coup, entre deux soulignements, on voit surtout les choix les moins personnels et les plus commercialement opportunistes de la mise en images : l’usage sommaire du numérique pour les effets spéciaux, les money shots distribués au compte-gouttes (avec le gros plan sur une pointe de lance justifiant la 3D, le plan de la mannequin russe en sous-vêtements dans un rôle décoratif…). Seule une scène de bataille centrale, à la victoire un peu trop facilement acquise pour ne pas éveiller le soupçon sur la façon dont on écrit l’histoire, sur ce qu’on choisit de croire ou de ne pas croire, sait se rendre tant soit peu intrigante là-dessus. C’est maigre.
Le manque de personnalité de l’exécution du programme ne serait pas si gênant s’il ne laissait pas tant l’aspect le plus arbitraire du scénario hollywoodien prendre le dessus. Que la mainmise des hommes sur leurs croyances et leur destin soit une échappatoire commune et opportune dans le cinéma américain, c’est évident, mais cela reste toujours porteur de promesses. Néanmoins, pour qu’Hercule endosse enfin sa propre légende, en somme pour qu’il devienne Hercule (ce qu’il finit par beugler : « I am Herculeeeeeeees !»), il faut bien qu’il accomplisse un exploit surhumain — lors même qu’il soit déjà très fort à l’origine. Une question inévitable se pose alors : d’où lui vient ce surplus de puissance ? de sa propre volonté ? des exhortations (un peu pompeuses et tombant comme un cheveu sur la soupe) de son ami ? des Dieux ? Le film reste bien flou là-dessus, mais l’absence de réponse claire n’est pas un problème : on regrette simplement que Ratner se soucie si peu du mystère même de cette transfiguration, au moins de le traduire. Il exécute simplement la prouesse attendue, parce que « c’est dans le script », parce que le spectacle l’exige. Ainsi le plaisir des digressions prend-il un goût amer d’occasions manquées.