Un helléniste fanatique vous expliquerait que placer les noms « Zeus » et « Hercule » dans le même récit est une hérésie, Hercule étant le nom romain de celui que dans la langue de Zeus on nomme Héraclès… À vrai dire, on s’en moque un peu, comme on s’en moquait dans les années 1950 – 60 quand le demi-dieu à gros muscles fut le héros d’une vingtaine de péplums italiens, parfois aux côtés de son camarade Maciste. En 2014, c’est Hollywood qui lui fait pour ainsi dire sa fête, en lui consacrant deux films tournés l’année précédente : le présent prequel signé Renny Harlin avec Kellan Lutz (un rescapé des Twilight, gonflé pour l’occasion), et un autre de Brett Ratner avec Dwayne Johnson (livré, lui, en l’état) attendu chez nous pour cet été.
Avec ses producteurs abonnés aux films d’exploitation bon marché (et aux Expendables), son réalisateur à la ramasse depuis plusieurs années et son casting de troisième zone, on ne peut pas dire que cette relecture du mythe partait avec les meilleures cartes en mains (de fait, elle vient de faire un beau four au box-office américain). Pourtant, au-delà des préjugés liés aux noms des personnes impliquées, ces données de départ ne sont pas son pire boulet, pas plus (non, non) que l’économie visible sur ses décors bulgares et ses effets spéciaux approximatifs (ne parlons même pas de la 3D). Le film souffre surtout de son impuissance à distraire le regard de sa condition de produit dérivé, guidé par les canons scénaristiques et esthétiques qui persistent à présider au néo-péplum actuel.
Les jeux du cirque
Hormis la surprise de voir un des douze travaux d’Hercule accompli bien avant l’heure convenue, ce prequel s’avère un énième rejeton de Spartacus — ou plutôt de l’autre rejeton Gladiator. Le fils de Zeus, poursuivi par la haine du mari trompé de sa mère, le tyrannique roi d’Argos, devient donc un esclave, puis un gladiateur, pour revenir libérer son peuple et régler dans le sang son complexe d’Œdipe (escorté par une armée dont on se demande bien à quoi elle sert, le héros faisant pratiquement tout le travail à lui seul). Sur le plan esthétique, Renny Harlin semble avoir été, comme quelques autres, très inspiré par la vision du contestable 300 de Zack Snyder, dont il a cependant le bon goût de ne pas reprendre la palette de couleurs qui singeait atrocement les planches de Frank Miller. Visiblement fasciné par la puissance, le bûcheron finlandais, aux heures de gloire déjà lointaines dans le cinéma d’action énergique à défaut d’être habile (58 minutes pour vivre, Cliffhanger, Au revoir à jamais), s’ingénie dès lors à magnifier la moindre prouesse physique à coups de ralentis-accélérés, dont il abuse tant et si bien que toute chorégraphie se voit réduite à une succession de tours de manège. L’emphase cinétique — à laquelle on pourrait trouver des circonstances atténuantes — tourne à la vaine hystérie de montage s’ébrouant pour créer plus de mouvement qu’il n’en existe à l’écran.
Paradoxalement, c’est aussi cette excitation peu regardante et peu mature qui ôte l’envie de vouer les efforts de Harlin au néant absolu. Cette capacité du cinéaste à s’ébrouer dans son devoir de faiseur, à faire frémir un peu — même en faisant du surplace — le raide sérieux de l’entreprise, fût-ce au prix de grands moments de n’importe quoi (voir l’une des dernières scènes de bataille, digne d’un jeu vidéo égaré dans un film, où Hercule en appelle à la puissance paternelle de la foudre : future scène culte à prévoir), rend le film plus touchant que d’autres dans ses égarements et son ratage. Sans doute est-ce dû au fait que dans ceux-ci, on trouve certes un manque cruel d’originalité mais rien qui ressemble à une soumission servile et cadenassées à une charte (comme dans 300), et encore moins de mépris envers ce qui est filmé, même quand il y est travesti (dédain qu’on pouvait déceler, dans le même genre, dans le récent Choc des Titans, lui-même riche en départs en vrille, mais plus programmatiques). Cela ne fait pas — loin de là — de La Légende d’Hercule une œuvrette sous-estimée, seulement quelque chose de moins sinistre que la prétention ridicule de, par exemple, Akiva Goldsman s’essayant à la fantasy.