Les producteurs de My Movie Project (dont Peter Farrelly, étrangement privé de son frère Bobby) ont déclaré viser « un Hamburger Film Sandwich des temps modernes », se référant à l’irrévérence redoutable (pour son époque) du film de John Landis plutôt qu’à sa cinéphilie. De fait, il est presque rassurant de voir de nouveau un film à sketches non animé par un sujet de dissertation tel qu’une ville (New York I Love You et consorts) ou une cause humanitaire (Les Enfants invisibles, 8, etc.), mais par un pur objectif : arracher au spectateur un rire étranglé par la gêne, offenser le bon goût et surtout cette pesante épée de Damoclès sur la culture américaine moderne, le politiquement correct.
Presque rassurant, disions-nous, dans l’intention — mais assurément décevant dans son résultat. My Movie Project, apprend-on, a mis plusieurs années à se monter, eu égard notamment aux difficultés à intéresser des studios au concept, à sélectionner des scénarios de courts à intégrer, à concilier les emplois du temps de réalisateurs potentiels et surtout à convaincre des stars de Hollywood de se risquer dans pareille entreprise. À l’arrivée, si les producteurs ont visiblement veillé à ne pas (trop) transiger avec le mauvais goût souhaité, la volonté d’intégrer leur film dans le circuit hollywoodien aboutit à un résultat étrange, donnant l’impression d’un projet un peu à côté de la plaque, une bête occasion pour Hollywood de s’encanailler en courant après une idée de la transgression qui s’avère assez limitée. Le premier indice de ce malentendu est le pauvre sketch The Thread (« le fil ») choisi comme prétexte pour assurer les transitions entre les treize autres : clin d’œil plus sinistre que drôle à Explorers de Joe Dante, où d’irritantes caricatures d’ados nerds se mettent en quête frénétique sur le web d’un mystérieux Movie 43 qui aurait été interdit partout dans le monde. De telles prémices tendent à draper (involontairement ?) cette anthologie d’une prétention disproportionnée au regard de sa portée réelle, et surtout d’une menace de fermeture de l’humour sur des clichés éloignés d’une observation du monde.
Cibles incorrectes pour le politiquement incorrect
On ne peut que supposer que le sketch se rapprochant le plus de ce chimérique Movie 43 serait le dernier. Dans Beezel de James Gunn, sorte de version non censurée du Ted de Seth MacFarlane, un couple de banlieusards est déchiré par un chat de dessin animé, qui dispute les faveurs sexuelles du mari à une épouse qu’il pousse à une telle hystérie qu’elle finira lynchée par ses voisins… Précisons qu’avant d’en arriver là, on aura vu l’animal animé mater les ébats du couple en se sodomisant frénétiquement avec un manche de plumeau. Ce niveau d’incorrection et de satire, efficace mais éphémère (humour trash et inquiétude sociale ne se mariant pas si bien), semble hélas représenter un plafond de créativité pour la quasi-totalité des autres segments qui, si volontaires qu’ils puissent être dans leurs infractions (plus ou moins drôles) au bon goût, manifestent comme une crainte sourde d’y formuler un regard allant plus loin que la gaudriole. Cela se manifeste sous plusieurs aspects :
— attaques sur les conventions sociales américaines, basées sur une idée limitée et jamais développée : pêle-mêle sur l’éducation des enfants et la sexualité qui fait peur, Homeschooled (les vrais époux Liev Schreiber et Naomi Watts campent un couple éduquant son enfant sur le mode des vexations d’adolescence), iBabe (la séduction des appareils Apple sous la forme d’un objet sexuel) et Middleschool Date (quand la puberté féminine déconcerte les familles) ;
— comédies romantiques se risquant à la subversion pour mieux se dégonfler à la fin, tels des ersatz de films de Farrelly : The Proposition où Anna Faris manifeste des goûts sexuels hors norme, Veronica ;
— incongruités basée sur la seule ineptie : Super Hero Speed Dating, piteuse parodie des personnages de DC Comics clignant de l’œil à la série Batman des années 1960 ; Happy Birthday où Gerard Butler se fait plaisir en campant à lui seul deux frères leprechauns orduriers et vindicatifs ; les faux spots fumeux Machine Kids et Tampax ;
— enfin, une occasion manquée, signée Peter Farrelly : The Catch, réflexion inaboutie sur le refoulé et la définition de la normalité (peut-être trahie par le format court) qui préfère se délecter des grimaces gênées de Kate Winslet devant l’étrange malformation et l’assurance perturbante de Hugh Jackman.
En cherchant bien, on a envie de sauver deux films de ce décevant bric-à-brac. Truth or Dare, encore de Farrelly, renoue (un peu comme The Catch, mais de façon plus assurée) avec l’affection pour le freak et le hors-norme (dans le côté freak, on peut inclure un Stephen Merchant arborant une tête de chat du Cheshire à faire peur). Et Victory’s Glory, plus ambitieux qu’il n’y paraît, s’aventure sur l’intéressante idée que la lutte contre la ségrégation raciale aux États-Unis aurait été, quelque part, nourrie par un certain racisme en miroir de celui que l’on combattait. Soit deux petites percées vers une transgression incarnée en regard sur le monde, au-delà d’un plafond derrière lequel les autres plaisantins se retranchent inconsciemment.