L’acteur Vincent Cassel s’irritait récemment sur Instagram du formatage des affiches de comédies populaires françaises, invariablement titrées en jaune sur fond bleu (au moins depuis le succès de Bienvenue chez les Ch’tis). Dès l’ouverture d’Ibiza, qui consiste en une succession de plans sur les hôtels de luxe de l’île et les festivités qu’ils accueillent, cette même palette de couleurs saturées envahit non plus l’affiche mais l’écran, comme s’il fallait faire dans le corps même du film la réclame du feel good movie, tout en lorgnant vers le spot publicitaire pour club de vacances huppé. Le jaune et le bleu sont juxtaposés d’un bout à l’autre du film (ainsi, par exemple, les vêtements respectifs du couple au centre de l’action), à quelques exceptions près : le générique, entrecoupé d’images d’archives en noir et blanc montrant les activités balnéaires d’un autre temps, est suivi d’une poignée de séquences pluvieuses, à Paris et dans une maison de campagne de la Baie de Somme. C’est que la couleur participe aussi d’un autre formatage de la comédie : Ibiza repose sans surprises sur la rencontre de deux imaginaires (et de deux territoires) que tout oppose. On plonge un bourgeois parisien (Christian Clavier), podologue de son état, un peu sinistre, assurément vieux jeu, dans le grand bain du simili-spring break ibizien. Le clivage est redoublé par l’écart générationnel : il s’agit pour Philippe d’être accepté par les enfants de sa nouvelle compagne (Mathilde Seigner), en cassant son image de vieux con. Une fois arrivé à Ibiza, destination choisie par le fils, le film progresse en terrain balisé, se contentant pour l’essentiel de disposer d’archétypes éculés (du type « les jeunes et leur portable ») tout en révélant peu à peu Philippe à lui-même.
Une thérapie
L’intérêt tout relatif du film tient à ce qu’il fait subir à Christian Clavier, qui reprend ici son éternel personnage de bourgeois anxieux, avec son outrance de jeu coutumière et un surcroît de tendresse. Rappelons que Clavier est l’interprète de la comédie à succès de l’année : le second volet de Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ?. On se souvient que l’horizon de ce dernier était déjà celui d’une réconciliation familiale ; son personnage, une figure vieille France, patriarcale, volontiers homophobe (l’homophobie est du reste le thème de son unique réalisation : On ne choisit pas sa famille), un homme fortuné qui n’hésite à mettre la main à la poche pour parvenir à ses fins. Enfin, comme dans Ibiza, anciennes et jeunes générations se rassemblaient autour du patrimoine d’une France figée : dans ce lieu déterritorialisé, ce sont les « classiques » musicaux des années 1980 (Queen, Scorpions…) qui soudent. Pour autant, là où dans Qu’est qu’on a fait… le patriarche trouvait un subterfuge pour faire tenir artificiellement (par des contrats) la communauté sans faire bouger les lignes, Philippe est ici en thérapie. Pour être accepté par les enfants de Carole, il faudra qu’il abatte certaines de ses barrières, quitte à ce qu’il consomme de la « schnouf ». Exemple : Philippe roule très lentement sur la voie rapide, au désespoir de la famille ; à la fin du film, il réalise que depuis le début, le limitateur de vitesse était activé. Évidemment, et malgré le talent de l’acteur pour l’abattage comique (cf. son corps qui ne parvient pas à trouver sa place dans la voiture, comprimant son beau-fils à l’arrière ou s’écrasant lui-même contre le pare-brise), aucune écriture ne vient prendre en charge cette thérapie. Elle se résume pour l’essentiel à montrer un personnage en roue libre, qui redécouvre le plaisir de regarder des fesses de jeunes filles.
Une claque
Reste qu’il est assez touchant de retrouver ici l’ambivalence de son personnage de toujours, tiraillé entre la lâcheté et l’autosatisfaction du pleutre anti-héros, et le dégoût de soi d’un bourgeois qui, mal à son aise dans un corps secoué par de « bas instincts populaires », est à la fois odieux et en souffrance. Qu’on songe aux Visiteurs, à la dualité entre le personnage de Jacquouille (condensant toute la vulgarité d’un peuple fantasmé) et son devenir-Jacquart (parvenu revêtant dans le dernier volet, sorti entre 2016, tous les visages de la collaboration). Un personnage qui, pourtant, peut tout aussi bien se rêver Napoléon que DJ à Ibiza, soulevé par une foule de jeunes branchés. Il n’est dès lors pas anodin que pour que cette trajectoire arrive à son terme, il faille en passer par le jaillissement d’une violence enfouie. Une scène est de ce point de vue particulièrement marquante : vers la fin du film, la famille de Philippe est accueillie dans leur villa par de richissimes bobos, concentrés de clichés sur la consommation écolo et la « sexualité libérée » (le sexe dans Ibiza est autant exacerbé que l’objet d’une angoisse certaine). La tension monte entre les deux familles et la scène se termine sur un déchaînement de violence, avec en climax le déclenchement du système d’arrosage du jardin à base d’ « engrais naturels », aspergeant ladite famille (toute de blanc vêtue, et d’abord filmée comme dans une publicité pour du savon), d’excréments, puis de poussière. C’est que constamment blessé et sali, Philippe est poussé à réagir, à accepter le conflit. Le film se termine alors sur une gifle, distribuée sans raison par Clavier à un quidam dans un avion, comme un geste décalé, absurde mais nécessaire et libérateur.