On peut s’étonner que soit distribuée en France la seconde réalisation de Jon Stewart, ex-présentateur du Daily Show, un JT satirique très populaire outre-atlantique, tant ses ressorts comiques s’appuient sur des références difficilement transposables dans l’Hexagone. Irresistible tourne en dérision la prétention des politiciens démocrates à vouloir « renouer le lien » avec l’Amérique rurale qui a porté Trump au pouvoir, tout en dénonçant dans le contexte brûlant des primaires, les effets pervers des billets verts, de l’algèbre électorale et du tambour médiatique sur le processus démocratique. Gary Zimmer (Steve Carell, cabotin en diable), politiste habitué aux arcanes de D.C. et qui se remet mal de la défaite d’Hillary Clinton, entreprend de faire basculer un « swing state », le Wisconsin, en portant à la mairie d’une petite bourgade un agriculteur revendicatif (Chris Cooper), modèle de common decency qui semble se prendre au jeu. Ses plans sont bientôt contrecarrés par l’irruption de Faith Brewster (Rose Byrne), véritable alter-ego affilié au Grand Old Party, avec laquelle il entretient une relation piquante et qui s’avère bien décidée à lui damer le pion. Gary confère ainsi une visibilité nationale à la campagne qu’il investit, fort de son expertise dans la levée de fonds et la réclame électorale. Le film s’inscrit quelque part au carrefour entre la comédie de dépaysement ou de choc des cultures (sorte de Bienvenue chez les ch’tis US, la pluie en moins) et la satire liberal (la gauche états-unienne s’y trouvant mise face à ses contradictions). Irresistible est d’ailleurs produit par Brad Pitt, comme The Big Short ou Vice, qu’il rejoint dans sa manière de décomposer sur un ton sarcastique les mécanismes de la vie politique américaine (fut-elle délocalisée), sur un mode mineur (Stewart n’a ni le mordant d’Adam McKay, ni le brio d’écriture de Sorkin).
It’s math
Rarement drôle, le film a ceci de foncièrement ambivalent qu’il souligne le ridicule de son personnage, dont les réflexions trahissent constamment la condescendance, tout en partageant sa tendance à penser la réalité sociale dans les termes d’une froide sociologie électorale. C’est un principe assumé de mise en scène : le moindre plan vient cadrer un détail qui signale l’appartenance à l’un des deux mondes (Washington en regard du pays « profond »), à commencer par les nombreux inserts culinaires (homard mis à part, l’opposition est moins marquée en France – dans l’imaginaire redneck, « l’élite » se distingue par sa consommation de sushis, d’haricots verts et de café latte). Le finale ironique du film voudrait renverser cette perspective : Gary s’est laissé floué par ses proies si dociles, l’arroseur est arrosé et le carton final isole, dans le titre, les lettres qui forment le mot d’ordre « resist ». La pirouette est un peu lourde et ne fait jamais que reconduire la carte postale d’une campagne pleine de braves gens, certes roublards, mais avec un cœur gros comme ça. Gary aussi s’est énamouré d’une jeune paysanne (Diana Hastings) et lui fait des aveux ; elle lui renvoie finement : « ne le prenez pas personnellement, seulement nous n’avons pas le même âge… it’s math ! ». Au fond le film surjoue la lucidité, s’autoflagelle un peu, mais n’offre qu’une modeste satire, sinon franchement déplaisante, du moins parfaitement inoffensive.