Par son titre, Vice interroge d’emblée un rapport problématique entre une fonction (celle de vice-président des États-Unis, exercée par Dick Cheney entre 2001 et 2009) et un certain « défaut » (car le vice, avant d’être un penchant pour l’immoralité, désigne d’abord une imperfection). En dressant le portrait de ce « faucon » néoconservateur, figure majeure de la « guerre contre la terreur » post‑9/11, le film entend moins montrer la sphère du politique comme étant par essence immorale que pointer, par la satire, ce qui s’avère défectueux dans le système, en révélant le caractère dysfonctionnel de l’un de ses organes. Le pouvoir, en droit constitutionnel (le film convoque nombre de juristes venant apporter des outils de légitimation au personnage), est conçu selon une distinction entre organe et fonction. Or le film met au cœur de son discours critique la « théorie de l’exécutif unitaire », soit l’idée d’un organe qui concentrerait l’entièreté de la fonction exécutive, en rupture avec les checks and balances chers à l’esprit de la Constitution américaine. Il est en cela assez astucieux que la construction repose en partie sur les défaillances cardiaques du personnage, faisant de son entreprise, de cette ambition de repousser tous les pouvoirs susceptibles d’arrêter le sien, la compensation d’un organe (son cœur, filmé à vif) dont le flux sanguin étant obstrué, n’est pas à même de remplir sa fonction. La meilleure idée du film tient ainsi dans le choix d’un narrateur dont le cœur a été transplanté dans le corps de Cheney, comme si ce dernier se nourrissait littéralement de cadavres. Outre le montage final, tout en surtension artérielle, c’est au fond le film dans son ensemble qui obéit à une logique de flux et de reflux, où un mouvement d’humeur de Cheney peut être la cause d’un bain de sang à l’autre bout du monde (ce que le montage signifie de façon abrupte, non sans grossièreté, on y reviendra) et un retournement de carrière succéder à un emballement du cœur. Le cœur est enfin porteur d’une promesse, celle faite par Cheney à sa femme au début du film, de se mettre à la hauteur de l’Amérique, scellée par un cœur tracé sur un tronc d’arbre (et qui contient leurs initiales).
« I did what you asked »
À la fin du film, Dick Cheney se défend face à une journaliste d’être un homme mauvais et met au contraire en avant sa vertu (au sens machiavélien). Il explique qu’il n’a pas agi pour être aimé (ajoutant ironiquement que, si tel était son but, il aurait fait du cinéma), que le monde est ce qu’il est, qu’il s’agit de s’y adapter. Se tournant vers la caméra, il conclut : « j’ai fait ce que vous avez demandé ». Que ce dispositif clôture le film n’est pas anodin : si Cheney a pu occuper de telles fonctions, c’est que les citoyens américains (le public ici en premier lieu visé) ont largement embrassé le discours mis en avant par les néoconservateurs et n’ont pas vu la réalité qu’il recouvrait. Le film prône ainsi une remise en cause des images : de la même manière que le 11 septembre est annoncé par un écran de télévision, c’est par l’intermédiaire d’un autre écran que l’on découvre le projet de mise à sac de l’Irak par Cheney, tandis que ce sont les déclarations de l’exécutif américain retransmises à la télévision qui suscitent le soulèvement de groupements terroristes. Le film invite dès lors à voir ce qu’il y a derrière, avec un didactisme peu subtil (comme lorsque se succèdent des photographies d’individus qui vaquent tranquillement à leurs occupations tandis qu’un ouragan gronde dans l’arrière-plan), pour cesser d’être la proie de ceux qui manigancent au sommet de l’État. La symbolique de la pêche est dans cette perspective mobilisée à l’excès, attestant du pragmatisme de Cheney qui, à une question de sa fille sur la souffrance éventuelle des poissons lorsqu’ils mordent à l’hameçon, lui rétorque que là n’est pas la question et qu’il s’agit seulement d’apprendre à pêcher. L’enjeu est alors de montrer ce qui n’est pas vu (et de le montrer comme tel), à savoir d’un côté les modalités de l’ascension de Dick Cheney et de l’autre les massacres commis dans le sillage de l’intervention américaine, pour les mettre en lien. Vice ne surmonte hélas pas les écueils d’une telle démarche : mettre sur un même plan, par un effet de montage spectaculaire, les images des responsables désignés et celles des victimes, revient à présenter une chaîne de causalité qui réduit chaque personnage, parfois explicitement, à un pion.