Parmi les curieux objets que nous propose le cinéma, il en est un qui revient avec insistance depuis la grande crise financière de 2008, c’est le «film bancaire». Contraignant le spectateur à fréquemment s’interroger sur le bien-fondé idéologique de leur démarche, ces long-métrages – souvent d’aspect anticapitalistes – s’imposent parfois en leurres, nourrissant l’univers dans lequel ils prennent place plus qu’ils ne le dénoncent. En effet et à l’opposé de la sobriété d’un Margin Call (J.C. Chandor), nombreux parmi ces films n’ont de cesse de se montrer racoleurs, mixant icônes du moment (DiCaprio, dans Le Loup de Wall Street ; Pattinson dans Cosmopolis), véhicules rutilants et bling-bling scintillant pour attirer en salles un public soumis aux grandes figures hollywoodiennes et auquel ils ne sembleront faire la leçon qu’en surface. Aussi et avec un casting réunissant Brad Pitt, Ryan Gosling et Christian Bale, pouvions-nous craindre de n’assister qu’à une énième variation de ce cinéma, en passe de constituer son propre genre. Et pourtant, dès le choix de sa distribution, The Big Short choisit habilement de déjouer les attentes d’un public plus habitué à retrouver ces comédiens dans la peau de personnages valorisant leur caractère iconique. Brad Pitt se voit ringardisé et vieilli, lorsque Christian Bale troque le costume du charismatique Bruce Wayne contre le t-shirt trop grand d’un ersatz de nerd aussi socialement attardé qu’économiquement brillant. L’on comprend alors le piège qui se referme sur le naïf venu assister à The Big Short comme on assisterait à un défilé cannois : il fait face à un film malin, qui ne démordra pas du message qu’il souhaitera lui asséner, et n’hésitera pas pour cela à l’attirer pour mieux le prendre à contrepied.
Le spectateur infantilisé
D’une façon des plus condescendantes, The Big Short prend le parti de se montrer didactique jusqu’à l’indigestion. Au cours du long-métrage se voient expliqués plusieurs rouages du système bancaire sur le mode de séquences se décomposant toujours en trois temps. Aussi et dans un premier temps, une scène dialoguée permet de comprendre le fonctionnement d’un processus (la création des subprimes, par exemple), puis l’un des personnages s’adresse au spectateur, soit en voix-off, soit face caméra, pour lui expliquer la scène qu’il vient d’observer. Enfin, le processus se voit une nouvelle fois vulgarisé, soit par un cuisinier étoilé, soit par Margot Robbie, depuis son bain, soit par Selena Gomez, à une table de jeu, le tout dans un langage peu châtié mais dont les métaphores auront au moins le mérite de la plus grande clarté. En préambule, l’on reste circonspect face à l’arrogance d’un tel dispositif, comprenant que le film souhaite se constituer en miroir d’un système qui se fiche du peuple qu’il oppresse, mais s’interrogeant sur la pertinence de ce choix. Car, s’il reste parfois ludique de se voir expliquer qu’un mélange de produits financiers est semblable à un mauvais ragoût, entendre des banquiers parler de leurs maladies testiculaires – incrustation d’images à l’appui – ou voir un clip de rap bling-bling s’intercaler au milieu de leurs transactions aurait plutôt tendance à gâter la sauce. Or, si les ruptures narratives qu’ils induisent brusquent le spectateur les premières fois, ces effets de manche s’effritent à mesure qu’ils incitent à se demander si ce long-métrage au caractère infantilisant dispose réellement de la longueur de vue nécessaire pour y arriver. Au-delà – et c’est peut-être ce qui gène le plus – en venons-nous à penser que ce film, schizophrène, achève de voir tout ou partie de ses procédés entrer en parfaite connivence avec la vulgarité du monde qu’il entend dénoncer. Une vulgarité dont était par ailleurs déjà empreinte Very Bad Cops, autre comédie d’Adam McKay déjà jalonnée de blagues graveleuses, sexistes et parfois homophobes.
À peu de frais
Parce que le cynisme de son intrigue peine parfois à ressembler à du second degré et que cette dernière s’avère peut-être trop insultante au premier, le message anticapitaliste de The Big Short aura sans doute du mal à rencontrer son auditoire. À court de carburant, la satire d’Adam McKay recélait en effet et en son sein – l’héroïsation de banquiers misant sur la crise plutôt que sur les produits qui l’auront façonnée – une incapacité à renvoyer le capitalisme au dos d’autre chose que de lui-même. Concentrant l’essentiel de son imagination sur ses aspects ludiques plutôt que dans sa pensée politique, The Big Short ne procède finalement qu’à une redistribution des cartes entre les gagnants et les perdants d’un système face auquel il n’esquisse jamais la moindre alternative. À l’image de ses personnages – dont celui campé par Steve Carell, qui découvre à cinquante ans que son métier ne consiste qu’à broyer d’autres gens – Adam McKay semble ne s’être saisi de son sujet que sur l’instant. Malgré un ton et une certaine idée du cinéma, le réalisateur de Légendes vivantes finit donc par nous livrer un film dont le manque de vision n’aura eu pour égale que l’arrogance de ses dispositifs infantilisant ; un crachat face au vent d’un système qui aurait appelé un déluge.