Parce que Jon Chu a réalisé l’enthousiasmant Sexy Dance 3, on caressait le fol et naïf espoir qu’il serait capable de transformer en belle expérience un documentaire à la gloire d’une fade idole des jouvencelles… Las ! Bien que le parcours de Justin Bieber soulève des enjeux intéressants (la génération YouTube/Twitter, l’enfant-prodige, la normalité et le star system), le film ne fait que les effleurer. Et si l’on y retrouve certains des motifs narratifs et plastiques de Sexy Dance 3, c’est sous leur forme la plus académique et idéologique qui soit.
Le critique biberonné à l’auteurisme, qu’il s’en méfie ou non, ne peut s’empêcher, lorsqu’un produit yankee formaté lui semble sortir du lot, de placer quelque espoir dans le supposé tâcheron qui en a signé la réalisation : et s’il tenait là un nouvel auteur ? Il oublie la spécificité du système hollywoodien : non seulement l’auteur n’y est pas toujours le réalisateur (cela peut être un producteur, un scénariste, un acteur, un chorégraphe), mais il n’y a même pas besoin d’auteur pour que « quelque chose se passe » : la rencontre réussie entre de solides artisans y suffit parfois. C’est sans doute ce qui s’est passé sur Sexy Dance 3.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’alchimie ne s’est pas reproduite sur Never Say Never. On pourrait dire : évidemment, c’est un documentaire MTV, pas un « vrai film », c’est beaucoup plus conventionnel. Il s’agit pourtant aussi d’une success story musicale et dansante sur le dépassement de soi et la découverte d’une famille plus large que celle qui nous a vu naître… Si le film précédent relevait de la fiction et celui-ci du documentaire, il y a au moins autant de codes et de dramaturgie dans l’un que dans l’autre. Sexy Dance 3 aurait presque pu brouiller les pistes encore plus loin si, lors des entretiens face caméra, le regard derrière cette caméra n’était incarné par un personnage… L’incarnation : tout est sans doute là ; bien qu’automatisés, fluidifiés, synthétisés, il y avait des corps, dans Sexy Dance 3, il n’y avait que ça. Or il n’y a pas grand chose, dans Never Say Never.
Si, il y a des images. Beaucoup d’images. Leur mise en abyme, les régimes hétérogènes : voilà quelque chose que Jon Chu (ou alors son staff de monteurs ?) semble apprécier et sait manier avec habileté. Le sujet s’y prête ici plutôt bien. Chaque époque offre aux artistes ses moyens de se faire connaître : bar de quartier, radio-crochet… aujourd’hui Star Academy ou YouTube. Or c’est justement sur YouTube que Justin Bieber a conquis les foules, sa famille y postant des vidéos où le gamin reprenait à la guitare des tubes pop ou R’n’B. Internet a créé un nouveau mode de célébrité qui a pris de court les maisons de disque et les radios, d’abord réticentes puis bien obligées, face au nombre hallucinant de fans, d’absorber le phénomène pour ne pas le laisser s’étendre hors de leur contrôle.
Même si les documentaires sur les stars ont toujours raffolé des images domestiques montrant le talent en germe dans une petite ville de province, c’est ici l’ampleur, la quantité, qui donne une certaine singularité au parcours de Bieber : l’utilisation de nombreuses images filmées en amateur par sa famille au fil des ans montre à quel point le gamin était doué déjà tout petit. Enfin, doué… C’est là que Never Say Never trouve sa limite, et ne peut rivaliser avec le pouvoir de fascination d’un This Is It : si Bieber a fait montre très jeune d’un étonnant sens du rythme et d’une capacité à chanter juste, qu’il a par la suite entretenus en travaillant beaucoup, il n’y a pas grand chose de fascinant, de troublant, voire de touchant chez lui.
Le film tente de montrer à quel point Justin est resté un jeune canadien de province, qui joue encore avec ses potes d’enfance et à qui sa grand-mère demande de ranger sa chambre avant de sortir ; mais on voit bien que Bieber a totalement intégré les codes les plus agaçants de l’industrie et des médias lorsqu’il fanfaronne pour la caméra sur un terrain de basket ou qu’il fait un usage ultra pro du regard aguicheur avec mouvement de tête pour remettre en place sa fameuse mèche (sans parler de la main tendue vers la caméra parce que ça fait cool en 3D : les fans vont toutes essayer de toucher leur idole en allongeant éperdument leurs bras vers l’écran). Et que l’irruption de Jaden Smith, tout aussi tête à claques mais né dans le système, apporte une certaine contradiction à ce discours n’embarrasse pas le film plus que ça.
Il ne s’embarrasse de pas grand chose, du reste, et devient carrément infâme lorsqu’il met en scène la rencontre de la jeune star avec une violoniste de rue à laquelle il dit qu’elle peut y arriver si elle ne renonce jamais… La même démagogie sévit lorsque l’agent de Bieber offre des places à des fans sans le sou, ou qu’est évoquée la tradition de la One Less Lonely Girl, qui veut qu’une jeune fille – si possible pas trop moche – choisie dans l’assistance monte sur scène pour recevoir la sérénade du puceau, bouquet de roses et caresses inclus… La démagogie se double alors d’un puritanisme hypocrite qui ne surprend guère mais n’arrange rien. Malgré un duo avec Miley Cyrus habillée en pouffe, une allusion vaguement coquine de Snoop Dogg et la composition à 99% féminine du public de Bieber, la sexualité reste évidemment un point aveugle. Quand, parmi les fans, la plus fervente s’avère être une fille voilée, on se dit que ce n’est pas si étonnant que ça : entre puritains, on se reconnaît.